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Littératureet Récits  

Huit quartiers de roture - avec 1 CD audio
de Henri Calet
Le Dilettante 2015 /  20 €- 131  ffr. / 221 pages
ISBN : 978-2-84263-824-5
FORMAT : 14,0 cm × 18,0 cm

Jean-Pierre Baril (Annotateur)

Paris loin des touristes…

Une promenade parisienne originale : la découverte des XIXe et XXe arrondissements en 1949. C'est à une promenade à travers huit quartiers de l’Est parisien que nous convie Henri Calet (1904-1956). Ménilmontant, Belleville, le Père-Lachaise, Charonne, etc., des quartiers populaires que l’auteur connaît bien, quartiers de son enfance, des quartiers de «pauvres», étrangers, ouvriers, qui vivent aux limites d’un Paris qui sort à peine de l’Occupation. «J’aime ces faubourgs pauvres où il n’y a rien à voir» (p.145). Rien à voir pour le passant pressé ou le touriste soucieux d’émotions fortes, mais tant à voir pour Henri Calet, spectateur attentif...

Muni d’un guide de Paris publié en 1867, de son érudition jamais pesante, des chansons d’Aristide Bruant, Henri Calet invite ses lecteurs à flâner dans ces quartiers méconnus. D’un cimetière à l’autre : ancien cimetière juif rue de Flandres (qu’il ne parvient pas à visiter), cimetières ruraux de La Villette, de Belleville, de Charonne, somptueuse nécropole du Père-Lachaise («Une cité où toutes les heures seraient creuses»). Le long des rues autour des Buttes-Chaumont, il se rappelle la Commune ; les Parisiens qui aujourd’hui habitent les coquettes maisons rénovées de la Mouzaïa savent-ils qu’«à l’ancien marché aux fourrages, furent fusillés de grands troupeaux d’hommes» ? La Commune dont le souvenir est souvent présent dans cet Est parisien populaire et révolutionnaire. Il entre dans les abattoirs alors en activité de la Villette, sur l’emplacement desquels s’élèvent aujourd’hui les cités des Sciences et de la Musique, un futur impensable en 1949 !

Non loin de la Mouzaïa, l'auteur décrit avec étonnement l’escalier roulant du métro : «un escalier roulant s’enfonce profondément et silencieusement dans la terre. Des cuivres étincellent aux lumières. Un tel luxe dans ces régions n’est pas normal». Il peut encore voir les restes des fortifications, alors que le périphérique n’est même pas encore un projet, et raconte des scènes champêtres un peu misérables : des gens qui ramassent une herbe à lapins rare et jaune, une femme qui a cueilli un bouquet de fleurs tellement pâles qu’elles en sont décolorées… Les Buttes-Chaumont : une sorte de Paradis terrestre inventé par Haussmann qui, selon lui, donne une idée de ce que serait le monde si les hommes en avaient été les créateurs…

A la station de métro Couronnes, il relit la Vie illustrée de 1903 qui narre le terrible accident qui y fit 75 morts. De rue en rue, il observe, les enfants qui jouent, les maigres déguisement des Mardis gras et de la Mi-Carême, il se souvient de tout : des guinguettes, de la fronde, de la fusillade des otages à la fin de la Commune ; passé et présent s’entremêlent.

Texte fluide, Huit quartiers de roture est le résultat d’un travail patient et érudit de Jean-Pierre Baril qui a réuni les notes et articles d’Henri Calet pour en faire ce petit livre passionnant, et explique sa démarche en fin de volume. Un ouvrage inédit qu’Henri Calet ne put jamais faire publier de son vivant, et dont il fit cependant une adaptation radiophonique pour quelques émissions en 1952 (un CD joint au livre en donne quelques extraits). C’est également à lui que sont dues les notes de bas de page qui précisent ou corrigent les approximations ou erreurs du texte.

Dans sa préface, il présente Henri Calet, écrivain estimé par ses pairs dès ses débuts, mais qui ne connut jamais la faveur du grand public. Il rencontra celle-ci plutôt à l’occasion de sa carrière de journaliste, de l’écrit (Combat, Franc-Tireur, etc.) et surtout à la radio. Amoureux de Paris, il est l’auteur de Le Tout sur le tout (réédité dans la collection L’imaginaire de Gallimard), livre inclassable, à la fois mémoires et promenades parisiennes, qui à sa parution en 1948 fut un temps bien placé pour le Goncourt. Et c’est à un livre sur Paris qu’il travaillait lors de sa mort, à 52 ans.

Un livre qui séduira tous les amoureux de Paris qui aiment sortir des sentiers battus des clichés parisiens, l’occasion aussi de (re)découvrir un auteur discret.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 10/06/2015 )
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