Littérature
Récits de Thibault de Montaigu
Grasset 2015 / 18 €- 117.9 ffr. / 233 pages
ISBN : 978-2-246-85684-9
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm
Self-service
Aïe ! Un sujet qui faisait craindre le pire. Il n'en est rien ! L’auteur part d’une expérience personnelle survenue en Arabie Saoudite, lors d’un séjour de six mois dans cette région où approcher une femme relevait de l’exploit. Dès lors, comment faire l’amour sinon par soi-même dans ce pays où les wahabites règnent d’une main de fer ?
Quand on est jeune, il faut bien trouver une alternative aux extases du coït partagé, et six mois, c’est long pour un homme en pleine vigueur. S’ensuit un essai sur la masturbation, dans lequel Thibault de Montaigu nous livre sa conception personnelle du plaisir solitaire, remède à bien des maux, et qui n’est pas qu’une solution de substitution, loin s’en faut ! Un essai qui évoque l’attitude de l’Eglise catholique pendant des siècles, alors que le sujet n’est pas abordé dans les traditions juive et musulmane du fait de la circoncision, l’ancienne censure médicale, le lien avec la littérature et la condamnation familiale.
«Notre appréciation de la masturbation n’est pas libre comme nous l’assumons ; elle est le résultat de trois siècles de lavage de cerveau. Un lavage si efficace que nous avons fini par intérioriser la condamnation sociale de la masturbation et la transformer en cette honte secrète et silencieuse, en ce sentiment trouble de lassitude et de répulsion qui nous conduit à dénigrer cet acte et à regretter parfois de l’avoir accompli» (p.114).
Bien qu’officiellement blanchi, l’onanisme se libère par la parole mais pas dans l’acte, comme un tabou sans tabou ; ce n’est plus un vice, pas encore une vertu. Et les femmes dans cette histoire ? Elles sont plus douées que les hommes (même Sœur Emmanuelle, au soir de sa vie, dans ses confessions, aborde ses faiblesses, ses tentations) car elles n’ont pas la soif de conquête et de domination des hommes, plus portées vers une forme de retrait et d’intériorité. Sans oublier que leur corps renferme beaucoup plus de zones érogènes !... «Ce que je sais c’est qu’il n’est pas illogique que ce soit parmi les femmes que le sexe solitaire trouve aujourd’hui ses plus fervents défenseurs» (p.142).
On peut considérer que c’est une école de liberté et d’émancipation. Cette aspiration touche chacun de nous, dans nos vies sexuelles conditionnées par les traditions et les préjugés. Le plaisir solitaire serait la seule part du moi intime où nous sommes autorisés à entrer sur un pied d'égalité, sans personne pour nous juger. «Voilà pourquoi la masturbation est la sexualité la plus démocratique qui soit et sa réhabilitation dans nos sociétés modernes prônant une certaine égalité des chances est inéluctable. Hugh Hefner avec son lapin de Playboy a commercialisé le premier produit masturbatoire de grande consommation qui encourage l’onanisme. Playboy est devenu une prothèse à l’échelle globale» (p.184).
Voyage autour de mon sexe est un essai très bien documenté et sérieux, même si l'on ne sera peut-être pas toujours d’accord avec l’auteur. Un récit écrit d’une plume énergique, sans tabous, relevé par une bonne dose d’autodérision.
Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 26/06/2015 )
www.parutions.com
(fermer cette fenêtre)