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Littératureet Récits  

Vie de ma voisine
de Geneviève Brisac
Seuil - Points 2018 /  6,50 €- 42.58  ffr. / 175 pages
ISBN : 978-2-7578-6921-5
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication en janvier 2017 (Grasset)

Vivez, espérez

Alors qu’elle a récemment emménagé dans son nouvel appartement, Geneviève Brisac est abordée par une dame âgée, sa voisine, qui aimerait parler avec elle de Charlotte Dalbo (1913-1985), résistante communiste, matricule 31661, rescapée d’Auschwitz, une connaissance commune. L’auteur devient une amie proche de sa voisine. Elle s'appelle Eugénie Pocli, dite Jenny, née en 1925, et elle raconte discrètement, par petits bouts, sa longue et prodigieuse vie, son histoire dramatique.

Ses parents, Rivka - dont le modèle est Rosa Luxembourg -, et Nuchim, homme mal voyant, étaient des Juifs polonais, athées. Adhérents du Bund, organisation juive révolutionnaire, ils ont lutté toute leur courte vie contre l’obscurantisme. Ils ont émigré en France dans l’espoir d’une vie meilleure. Le 16 juillet 1942, ils sont arrêtés pendant la rafle du Vel d’Hiv et les enfants, français, sont laissés libres. Ils se débrouillent pendant la guerre grâce à la famille de Monique, la meilleure amie de Jenny, une amitié qui aura duré quatre-vingts ans. Grâce à cette affection, pendant que Maurice est envoyé à la campagne, Jenny se construit, passe son bac et devient une institutrice réputée dans ses classes de Cours Préparatoire. Battante, forte politiquement, elle devient une femme indépendante, engagée dans les luttes de son époque. Son parcours nous parvient sous forme de conversations avec l’auteur devenue sa confidente.

L’unique témoignage que la fille a gardé précieusement est un bout de papier sur lequel le père a écrit quelques mots en yiddish, papier qu’il a glissé dans un interstice du wagon qui le conduit vers la mort : «dans l’espoir absurde qu’il arrive jusqu’à nous». Sur ce papier, il est écrit : «lebt und hoft», ''vivez et espérez''.

Jenny participe à toutes les manifestations d’après guerre, qui sont l’âme du peuple, la forme concrète de l’instinct populaire, la ''vague''. Elle a appris très tôt la dureté de la vie avec ses parents, elle n’a pas eu droit à une adolescence insouciante, devenue «Mensch», une femme extraordinaire, soumise ni à Dieu ni au diable, forte de son libre arbitre et des idées parfois révolutionnaires héritées des siens. Ce sont eux les vrais héros de ce court récit. Ils lui ont permis de suivre sa voie, ils lui ont donné le courage de survivre grâce aux livres, les meilleures armes pour apprendre la liberté.

Avec son engagement militant auprès des rescapés, Jenny évoque au fil des pages son mari Jean-René Chauvin et son ami Rudi Vrba, né Walter Rosenberg, qui témoigneront après la guerre de la vie dans les camps. A leur côté, elle n’oubliera jamais de poser les questions qui dérangent. La guerre d’Algérie succède à la guerre d’Indochine ; la lutte pour une Algérie indépendante, contre la torture, mobilise tous les intellectuels engagés. Jenny affirme : «Toute ma vie, j’ai séparé les gens en deux groupes (…) ; il y a ceux qui comprennent et les autres».

Aujourd’hui encore, certains comprennent et les autres, plus nombreux, détournent le regard, ils font semblant d’ignorer. Au travers de la destinée courageuse de Jenny Pocli, Geneviève Brisac nous offre une belle leçon de vie, piqûre de rappel pour ne pas oublier les peuples martyrisés quelle que soit la période.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 20/04/2018 )
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