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Littératureet Récits  

La Vérité - Un livre sur les relations qui dérange
de Neil Strauss
Au Diable Vauvert 2019 /  23 €- 150.65  ffr. / 624 pages
ISBN : 979-10-307-0243-9
FORMAT : 13,0 cm × 19,8 cm

Romain Monnery (Traducteur)

Bernard Chang (Illustrateur)


Game Over

Journaliste, écrivain, Neil Strauss (né en 1969) a connu un succès retentissant en 2005 avec The Game, un récit autobiographique consacré à la drague. Timide, timoré, au physique ingrat, le jeune homme, écumant les échecs féminins, se décide à rentrer en contact avec de véritables spécialistes de la drague, des gourous en la matière, marchant par communautés sur Internet. Strauss se plie aux règles strictes que lui impose cette discipline et commence son apprentissage. The Game relate cette expérience avec drôlerie et une certaine verve littéraire qui amène le lecteur dans des contrées rocambolesques et romanesques. Le cadre est quelque peu restreint puisqu’il s’agit de rencontrer des femmes à Las Vegas, haut lieu du ''péché'' et de la superficialité, mais les théories énoncées par Strauss valent un détour sociologique et littéraire. Évidemment, la drague fonctionne et Strauss rattrape le temps perdu en enchaînant les conquêtes jusqu’à ce qu’il tombe amoureux et décide de rester fidèle à sa fiancée. Ainsi se clôt The Game. The Truth (''La Vérité'') se déroule dix ans plus tard, au moment où Strauss, lassé de la vie de couple, trompe Ingrid qui le quitte. Classique.

Construit sur le même mode narratif que The Game, La Vérité emprunte également ses codes littéraires, à savoir un postulat de départ, une expérience traumatique, et un retour à la raison. Dépité d’avoir trahi sa fiancée et d’être séparé d’elle, le narrateur décide de faire un travail sur lui-même en suivant une psychothérapie de groupe pour combattre son addiction sexuelle. Mais lassé par trop de rigorisme, il décide, après avoir renoué avec Ingrid, de laisser libre cours à ses fantasmes et de faire le point quelques mois plus tard. Partouzes, orgies, échangismes, déviances sexuelles, tout est permis pour assouvir son plaisir ou combattre ses névroses. Mais comme un petit enfant qui prend conscience que tricher n’est pas moral, Strauss décide de tout arrêter et de reconquérir la belle qui, aimante et tolérante à la fois, félicite le jeune homme d’avoir osé tout expérimenter pour mieux la retrouver ! Mariage et naissance clôturent cette seconde partie de l’autobiographie narcissique de Strauss. Que nous réserve la troisième partie, d’autant plus que, fraîchement traduit en français, le livre date de 2015. L’enfant a grandi et Neil est-il toujours fidèle à sa femme ?...

Rappelez-vous la série télévisée Santa Barbara (magnifiquement parodiée par Les Inconnus par Ça te barbera) dans laquelle les principaux protagonistes passaient leur temps à parler de leurs problèmes de couple, de leur sentiments, de leurs infidélités, dans des décors d’hôtels luxueux en costumes trois-pièces. Ils ne travaillaient pas, et se servaient des verres de scotch pour évoquer leurs problèmes conjugaux. The Truth serait la version pornographique de ce style de feuilletons télé : barbant, rasoir, énervant. Des bourgeois immatures dont la vacuité intellectuelle n'est plus à prouver, passent leur temps à se séduire, à faire l’amour, à se quitter, à se tromper, à faire des psychothérapies, à s’analyser toute la journée. A l’écrit et sur 600 pages, c’est l’équivalent douloureux de 6 saisons télévisées du fameux soap opera. Strauss, qui plaisait par son comique et son enquête loufoque sur les milieux de la drague, devient ici un banal obsédé sexuel (il parle d'addiction sexuelle alors que l’obsession sexuelle est le seul problème psychiatrique auquel il ne fait pas allusion), autocentré, qui comprend au bout de 600 pages que tromper sa femme est mal mais qu'il peut la retrouver après avoir expérimenté tous les lieux de débauche possibles (Paris en étant la quintessence !), accueilli à bras ouvert par Ingrid, qui après s’être envoyée quelques types pour patienter, prend conscience que le gentil Neil aux 500 conquêtes peut retrouver le foyer familial.

Certes, Strauss se base sur deux ou trois théories de spécialistes, mais cela ne sauve en rien le comique involontaire de ce livre affreux littérairement, au style d’une platitude confondante et au fond insipide. Exemple lors d’une partie sexuelle à visée pédagogique : «Ce premier rendez-vous a fini en plan à quatre avec ma vieille amie et colocataire de communauté Leah, ainsi qu’une amie de Sage tatouée de la tête aux pieds prénommée Winte. J’ai regardé Sage partir à l’assaut de Winter – lui bouffant la chatte, la doigtant, la fessant, avant de la retourner pour la doigter par derrière – et j’ai pensé : "Ça y est, j’ai trouvé mon idéal"». S’ensuit un passage interdit au moins de 18 ans ! 

Chaque expérience sexuelle le conforte dans sa vérité avant qu’il ne change d’optique et s’en contente… Le lecteur a l’impression – une fois de plus – de lire le livre d’un adolescent qui se persuade qu’arrêter de fumer lui va parfaitement avant de consommer deux paquets de cigarettes par jour et se dire que cela lui convient mieux. Mais lorsqu'il consulte un pneumologue, il décide que l'arrêt définitif est nécessaire ! La Vérité porte sur un sujet universel qu'il aurait fallu traiter avec davantage de sérieux. En cela, le livre est malheureusement raté.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 24/04/2019 )
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