L'actualité du livre
Littératureet Récits  

Récits d'Ibiza
de Walter Benjamin
Riveneuve Editions - Pépites 2020 /  9,50 €- 62.23  ffr. / 164 pages
ISBN : 978-2-36013-578-3
FORMAT : 12,1 cm × 17,5 cm

Pierre Bayart (Traducteur)

1933

Walter Benjamin (1892-1940) est un historien de l'art et un philosophe allemand. Dans ces Récits d'Ibiza (les éditions Riveneuve auraient pu titrer également par Carnets d'Ibiza et de Marseille), il délaisse un temps la critique littéraire (il a traduit Proust et publié des études sur Kraus, Kafka, Brecht) au profit de la création voire de la fiction. Ce court recueil réunit des textes écrits durant son séjour à Ibiza en 1933 alors qu’il fuit les premières persécutions contre les Juifs. Intellectuel de premier plan, il est en première ligne sur les listes établies par les nazis.

1933 est une année charnière dans la courte vie de Benjamin. Contraint de fuir (déjà) l'Allemagne nazie, il rompt avec Berlin mais aussi sa femme, et toute la période qui précède l'arrivée d'Hitler, c'est-à-dire, celle d'une culture européenne riche chère à Zweig, un temps qui a produit les plus grands écrivains de l'entre-deux-guerres ; celle également (malgré les troubles politiques qui ont suivi la défaite, et le chômage de masse qui ronge l’économie) d’un Berlin foisonnant où il fait bon vivre.

Benjamin choisit le dépaysement méditerranéen d'Ibiza pour produire de brefs récits, des historiettes où il est question d'un capitaine du bateau qui l'a conduit en Espagne (quelques jours de traversée) mais aussi de Marseille (où il a fait escale et consommé du haschich) et de la côte espagnole qu'il arpente en compagnie d'amis. Difficile de repérer une réelle cohérence entre ces textes, si ce n'est qu'ils ont comme source d’inspiration une volonté autobiographique réelle, travestie par le genre du récit, un besoin sincère de se raconter, éloigné qu'il est de son ancienne vie citadine et intellectuelle. Benjamin, au moyen d'un style bucolique voire mélancolique, produit des textes assez sobres mais précis, teintés à la fois de trivialité (les rencontres de personnages pittoresques, l'usage de drogues, les descriptions maritimes) et de profonde tristesse (la contrainte de l’exil forcé et la montée des périls composent une atmosphère nostalgique).

Ces écrits assez solaires (l’écrivain associe la perception du beau temps à son humeur bucolique) laissent place également à une très courte correspondance, et un unique poème. Benjamin, persécuté, se suicide en 1940 à la frontière espagnole ; son frère, emprisonné et torturé par les nazis, mourra la même année. Ces récits n'ont pas d'autre but que de faire partager l'expérience fictionnelle de l'auteur, baignée de réalisme, de fantaisie et de vérité. Ses errances à Marseille et sa volonté de tenir un carnet de notes (où curieusement peu de lectures sont dévoilées) montrent à quel point, l'auteur, en période de trouble, se rattache à ces plaisirs simples, voués à disparaître.

Une curiosité éditoriale intéressante, qui devrait permettre au plus grand nombre de se plonger dans l’œuvre tout à fait riche et passionnante d’un auteur peu étudié, malgré une vision lucide et une culture livresque impressionnante (Benjamin était féru de littérature française).

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 26/02/2020 )
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