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Littératureet Récits  

Le Tableau d'honneur
de Philippe Levillain
Sud Ouest (Editions) 2020 /  18 €- 117.9  ffr. / 200 pages
ISBN : 978-2-8177-0756-3
FORMAT : 14,5 cm × 22,6 cm

Christophe Lucet (Préface)

Au tableau !

Qu’est-ce qu’un bon élève ? Question immense, aux implications non seulement pédagogiques mais aussi sociales et culturelles. A cet égard, rien ne vaut l’étude de cas. Et, idéalement, d’une plume forte et aisée, sensible aux formules autant qu’aux impressions.

Philippe Levillain est un bon élève : de l’Ecole Normale Supérieure à l’Institut, en passant par Rome et par l’université, son parcours est celui d’un historien heureux, adoubé, reconnu, apprécié, et finalement honoré. Dans cet ouvrage qui renoue, après tant d’autres historiens, avec le genre de l’ego-histoire cher à Pierre Nora, il part d’un épisode fort, immense même, le déracinement d’un petit parisien des années cinquante, débarquant à Bordeaux, au lycée Montaigne, et découvrant, entre autres réalités, le rituel du tableau d’honneur. C’est le moment des blouses grises et des grandes amitiés, des projets définitifs (fuir avec un camarade vers les Antilles en cas de mauvaise note), des découvertes (le grec – une épiphanie -, mais aussi le théâtre, la littérature, etc.), des rencontres mais aussi des rivalités, des grands espoirs (le concours général, comme statue du commandeur, ou bien «l’X», consonne mystérieuse et vénérable). En regardant en arrière, avec une émotion manifeste lorsque ce regard croise celui des disparus, Philippe Levillain nous montre qu’un bon élève, c’est aussi une famille, un milieu, des enseignants animés par une certaine idée, non pas de la France (quoique) mais du métier, une émulation, etc. Bref, un bon élève, c’est un monde.

A la manière d’un Marcel Pagnol - dont il a les accents bordelais, primesautiers et gentiment moqueurs -, Philippe Levillain reprend le chemin de l’école, nous emmène en classe, nous fais traverser la cour de récréation, nous présente aux autres gamins comme aux profs, nous fais partager son regard, entre angoisse et fascination, pour cette «instruction publique» aujourd’hui révolue, nous ramène enfin à la maison et dans le cercle familial. C’est une enfance des années cinquante dans une France oscillant entre reconstruction et modernité, avec ses émotions, ses rêves, ses angoisses, ses petits drames, ses secrets – personnels et familiaux -, qui s’expose dans ce récit. Une enfance à l’ombre des ambitions paternelles, de la tendre indulgence maternelle, des fantômes du passé et des incertitudes sur l’avenir. On s’y retrouve, mais on y mesure aussi le temps passé et l’évolution de la société, un exotisme bienvenu à l’heure des cours confinés et de la défaite du tableau noir face à à l’écran. Jouant sur les temporalités, l’auteur nous entraîne d’ailleurs dans des épisodes plus récents qui annoncent d’autres souvenirs, tel cet oral de licence qui le confronte à un faux ancêtre éponyme qui devient un garant de moralité… La famille imaginaire au secours de la vraie.

Pourquoi lire ce Tableau d’honneur ? Déjà parce que le plaisir de lecture est au rendez-vous, mais, plus encore, parce que le récit, discrètement analytique, d’un historien, est aussi un exercice de réflexion et que, même sous une forme littéraire, perce le regard d’un intellectuel sur son passé et son parcours, avec, en arrière plan, une aurore à venir.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 13/01/2021 )
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