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Littératureet Récits  

La Familia grande
de Camille Kouchner
Seuil - Cadre rouge 2021 /  18 €- 117.9  ffr. / 208 pages
ISBN : 978-2-02-147266-0
FORMAT : 14,1 cm × 20,5 cm

Liberté chérie

Camille a grandi dans le culte de la liberté. Sa mère, politologue et féministe convaincue, a affirmé très tôt dans la vie de Camille que chacun a droit à la liberté, que ce soit par la parole, les loisirs ou l'expression sexuelle. Des scènes de liberté de l’enfance de Camille irriguent ainsi sa mémoire : baignades nus, bains de soleil et repas partagés au sein de la familia grande, tribu composée de la famille et des amis de Camille. Là, chacun est adoubé par la liberté, enfants comme adultes.

De l’extérieur, la familia grande de Camille est progressiste, intellectuelle et libérée, mais sous la surface se cachent des secrets qui font pression. Camille n’était encore qu’une enfant lorsqu’elle a découvert que son beau-père agressait sexuellement son frère jumeau. Ni elle ni son frère ne savaient ce qu’était l’inceste. Camille voyait son beau-père comme un homme chaleureux et avenant, mais elle savait aussi que son frère était effrayé et rongé de honte. En raison de cette honte, ils décident de garder ces agressions secrètes.

Pendant des années, Camille se sent torturée par son propre silence. Le conflit interne est évident lorsqu'elle décrit l'image souillée qu'elle a de son beau-père après avoir su ce qu'il a fait à son frère. Elle voit encore sa chaleur et sa gentillesse, mais elle ressent aussi la honte de son frère. Alors que la mère de Camille faisait le deuil du suicide de ses propres parents, Camille craignait que l'aveu de cette information ne fasse qu'ajouter à sa douleur.

Le style d'écriture que Camille Kouchner utilise pour détailler ces événements est parfois clair et percutant, mais dans d’autres cas, il est plutôt décousu. L'auteure crée des images vives à partir de phrases simples, de mots jetés, qui illustrent la remémoration et son entrelacs certes, mais qui laissent aussi le lecteur parfois perdu, mis hors champs. Indépendamment de ces maladresses stylistiques, Camille Kouchner propose un récit qui touche profondément.

Quand la mère de Camille apprend enfin le secret, elle prend la défense du beau-père, affirmant qu'il a déjà été suffisamment puni lui-même et que la nature de l'agression aurait pu être pire. Le récit frappe alors par la peinture de cette réalité à laquelle tant de personnes sont confrontées : la protection des agresseurs. Camille Kouchner s'appuie sur son expérience personnelle pour remettre en question ces dynamiques et encourager les survivants à s'exprimer.

Elle conclut le roman par une lettre adressée à sa mère décédée, lui demandant où celle-ci était pendant que Camille était corsetée par sa culpabilité. Camille reconnaît la douleur de sa mère mais elle rappelle également qu'elle était l'adulte qui devait protéger ses enfants devant l'injustice. Après des années de silence, Camille parle, pour elle-même, pour son frère et pour tous ceux qui ont été touchés par une agression sexuelle.

La familia grande ne laisse personne indemne, obligeant le lecteur à réfléchir à ses propres silences et à croire ceux qui utilisent leur liberté pour s'exprimer et partager leurs expériences.

Zoe Howard
( Mis en ligne le 17/02/2021 )
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