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Littératureet Récits  

Toute une vie
de Jan Zabrana
Allia 2005 /  6.10 €- 39.96  ffr. / 158 pages
ISBN : 2-84485-190-8
FORMAT : 10,5 x 17 cm

Traduction du tchèque : Marianne Canavaggio et Patrik Ourednik.

Demain est une autre nuit

«C’est d’une force désespérée. Quand on lit ça, on se dit que Nothomb, Houellebecq, Besson…c’est de la bibine», explique Michel Polac, chroniqueur à Charlie Hebdo, à propos de Toute une vie de Jan Zabrana (Editions Allia). Cet avis admiratif pour un auteur inconnu en France n’a vraiment rien d’exagéré. Ce livre n’est rien de moins que «la» bonne surprise de la rentrée littéraire 2005.

Le journal intime de ce dissident tchécoslovaque reflète, sous la forme de fragments, d’anecdotes et de pensées, la condition d’un homme qui a tout perdu à l’arrivée des communistes au pouvoir en 1948. Le livre recouvre la période débutant après le Printemps de Prague de 1968 jusqu’à la mort de Zabrana en 1984. A l’époque en Tchécoslovaquie, le régime communiste broie les gens en silence, de la façon la plus cynique qui soit : administrativement. Zabrana sait de quoi il parle : il a été exclu de l’université de Prague en 1952 pour «inaptitude politique à l’étude». Le régime lui prendra également ses parents. Accusés de haute trahison, ils passeront plusieurs années en prison. Leur fils Jan sera alors obligé de travailler comme ajusteur mécanicien jusqu’en 1955, date à laquelle il devient traducteur de russe et d’anglais. Fréquentant les milieux littéraires, il pourra juger de la censure qui sévit dans ce régime totalitaire où on est obligé d’étouffer toute pensée critique : «Plus on est mort, plus on est apprécié. Par le régime dans lequel je vis».

Teinté de désespoir, ce texte n’est pourtant pas dépourvu d’humour quand Jan note dans ses carnets des anecdotes insolites : «Hier vingt-cinq sourds-muets tchécoslovaques ont demandé l’asile à Munich. Alors là, c’est vraiment la fin de tout…On en viendrait à se prendre pour un héros de rester dans un pays que même les sourds-muets quittent en masse».

Critique d’un régime, Toute une vie dresse aussi le portrait d’un homme amer d’avoir vu sa vie gâchée : «Ma mort est derrière moi… Là-bas, quelque part dans les années 50». Malade du passé, comment pourrait-il croire en l’avenir ? Pour lui et ceux de sa génération «demain est une autre nuit». L’écriture de ce journal devient le seul moyen de ne pas se laisser complètement submerger par les ténèbres du totalitarisme. L’envie de résister, voilà ce qui touche le lecteur et lui donne l’envie de s’accrocher fébrilement à ce livre jusqu’à la dernière page ! Malheureusement, cette dernière arrive bien trop vite et c’est la seule chose qu’on pourrait lui reprocher. L’édition française reprend à peine un dixième de la version tchèque qui comporte plus d’un millier de pages. Alors, à quand la version intégrale de ce texte à lire absolument ?

Alexandre Hallouin
( Mis en ligne le 16/11/2005 )
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