L'actualité du livre
Littératureet Fantastique & Science-fiction  

Julian - Apostat, fugitif, conquérant
de Robert-Charles Wilson
Denoël - Lunes d'encre 2011 /  28 €- 183.4  ffr. / 594 pages
ISBN : 978-2-207-10877-2
FORMAT : 15,1cm x 23cm

Gilles Goullet (Traducteur)




America, America

L’Amérique des années 2170 est encore un grand pays, une puissance… Bonne nouvelle alors, mais qu’est-ce que la puissance dans un monde privé de pétrole, hostile à la technologie, et qui n’attend plus que le second avènement du Christ ? C’est dans ce futur très passéiste qu’ont grandi Adam Hazzard et son ami Julian Comstock : le premier est un petit palefrenier qui s’est découvert un talent de plume, le second est le fils d’un «aristo» traître et le neveu, honni, du président (entendez dictateur) Deklan Comstock. Julian Comstock est avant tout un jeune garçon trop brillant, trop rationnel pour cet âge sombre. Les deux jeunes garçons se passionnent pour le monde «d’avant» et ses folies, mais bientôt, le présent, la guerre avec les «mitteleuropéens» et surtout les intrigues politiques et religieuses les rattrapent. Fuyant à travers une Amérique contrôlée par l’Eglise du Dominion, une version évangélique des talibans, ils aboutissent au seul endroit où subsiste une liberté et un espoir, la guerre… Mais le destin de Julian finit par les rattraper : devenu un héros, il doit entrer dans l’arène et assumer son statut.

L’Amérique du futur ? Une Amérique au milieu du gué, un peu post-apocalyptique (grandes villes désertées, puits de pétrole à sec, retour à la terre et aux vertus chrétiennes) et un peu steampunk (le XXIIe siècle a de gros airs de XIXe, avec sa guerre aux allures de guerre de sécession, et sa morale de western). Un mélange des genres original, qui rappelle, en moins radical, le récent Livre de Dave, de Will Self, et son hypothèse en forme de question : décadence, régression ou renaissance et deuxième chance ?

Robert Charles Wilson a, depuis quelques années et une œuvre importante (Darwinia, Bios, Spin, A travers temps, Blind Lake…), installé un style, une approche de la SF : à travers le regard de quelques personnages, héros ou antihéros, il promène son lecteur dans des mondes proches, une révolution est en cours… Dans Julian, développement d’une nouvelle parue dans le recueil Mysterium, l’approche est la même : le narrateur – un Candide du nom d’Adam Hazzard, formaté par son époque moralisatrice et pusillanime – évolue dans une société qui a tourné le dos au progrès, à la société de consommation, et qui entend vivre dans une sorte d’utopie rurale passéiste. L’Amérique de Julian, c’est celle du vieux Sud et de la ''Bible Belt'' : l’esclavage a été discrètement rétabli ainsi que la noblesse, la tolérance religieuse est un vestige et l’Eglise du Dominion – fondamentaliste en diable – a créé sa propre version de l’inquisition. Retour à la terre et à ses vertus, avec, en toile de fond, une Europe et une Asie qui ont, elles aussi, viré conservatrices…

Heureusement, il existe quelques résistants, ces «philosophes» mal pensants, ces «parmentieristes» anarchisants… autant de contestataires perdus dans un océan de militants du ''Tea party'' et menés par une clique de ploutocrates. Est-ce un roman à clef ? Est-ce une vision personnelle d’un futur américain pas si éloigné ? Le livre, en tous les cas, se dévore, même s'il comporte quelques longueurs. On y retrouve ce style ciselé (et admirablement rendu par la traduction de Gilles Goullet), qui va à son rythme, décrivant, par des incises, le monde de demain. Le XXIIe siècle américain vu par le petit bout de la lorgnette, avec ses problèmes et les questions qu’il pose au monde d’aujourd’hui. Alors certes, le lecteur s’agacera du narrateur et de sa candeur : Adam Hazzard est un homme de son siècle, gavé de propagande religieuse, de tabous, d’interdits… il n’est pas sympathique, mais il sonne vrai (hélas). Quant à Julian, c’est, en dépit de son intelligence, une belle illustration des débats religieux sur la prédestination (et ses pièges).

Porté par les mots d’Adam Hazzard, on erre avec plaisir dans cette Amérique vertueuse, belliqueuse et fondamentaliste. Une atmosphère originale, qui tranche avec les univers habituels de R.C. Wilson, mais un roman réussi, qui porte sa marque.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 19/10/2011 )
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