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Littératureet Fantastique & Science-fiction  

Heptagone
de Georges Panchard
Robert Laffont - Ailleurs & demain 2012 /  22 €- 144.1  ffr. / 480 pages
ISBN : 978-2-221-13108-4
FORMAT : 13,6 cm × 21,6 cm

Le futur, version Huntington ?

Le monde dans les années 2040 : des ninjas reconfigurés, et dotés d’attributs quasi magiques, évoluent parmi nous. Ils officient pour de grands consortiums, multinationaux, dotés d’une force de frappe privée que leur envieraient nombre d'États… du moins ceux qui existent encore : les USA ont implosés sous le poids des conflits religieux, et une fédération d'États intégristes s’est imposée ; l’Europe ne vaut guère mieux et glisse doucement dans une guerre de civilisation entre occidentaux et «islamistes». Bref, le monde appartient désormais aux grandes firmes, et la guerre commerciale est devenue une guerre réelle, à coups de missiles, d’espions, d’attentats… une guerre qui suppose des généraux et des soldats. Adam Clayborne était un de ces généraux, il œuvrait pour l’une des plus grandes firmes, Haviland, mais malgré tous ses efforts, son patron est mort… et Clayborne est le seul à croire encore qu’il a été assassiné.

L’intrigue de Forteresse – qui racontait l’enquête de Clayborne pour découvrir une arme nouvelle nommée GHOST – rebondit dans ce nouveau roman, qui poursuit et encadre l’histoire débutée précédemment. On retrouve Clayborne désormais à son compte, après avoir quitté Haviland, et toujours autant obsédé par l’affaire GHOST. Mais on croise aussi d’autres personnages, telle Gianna Caprara, une policière milanaise, impliquée un peu malgré elle dans l’affaire GHOST, et coincée entre sa propre guerre – contre l’islamisme – et une guerre plus lointaine, commerciale. Une guerre dans laquelle Haruki Miyagawa est un soldat d’élite : enfant de prolétaire, nostalgique du Japon d’Edo, il est devenu – après une sélection drastique – un ninja sans état d’âme au service de la confrérie d’Eien.

Dans ce grand chambardement international, on croise aussi Sherylin Leighton, qui a fuit l’Amérique intégriste, sans pour autant se couler dans une Europe en guerre civile, ou encore Jack Barstow, autre observateur d’une guerre civile qui a fait voler l’Europe en éclat. A l’inverse, Lyndon Mitchell est, lui, demeuré en Amérique, une Amérique à laquelle il lui faut s’adapter. L’enjeu de ces vies : proposer des regards sur chaque contrée, et sur un avenir vu par le petit bout de la lorgnette, celui de l’individu aux prises avec l’Histoire autant qu’avec l’intrigue.

Sorti en 2005, Forteresse était un thriller SF-anticipation nerveux, rythmé, très réussi, qui révélait une belle plume de la SF en la personne de Georges Panchard… Une belle plume, mais pas très prolixe, et il a fallu attendre 2012 pour découvrir la suite. Heureusement, l’attente en valait la peine et cet Heptagone confirme, s’il en était besoin, le talent de Georges Panchard. Le schéma reste le même – plusieurs destins, que l’intrigue va entrecroiser ; de même que le style – des chapitres courts, qui, passant du passé au présent, offrent d’une situation de crise une vision kaléidoscopique stimulante. Le lecteur de Forteresse retrouve immédiatement ses marques, et s’engouffre confortablement dans l’histoire. Mais l’intérêt de l’ouvrage réside surtout dans l’univers décrit : un univers très huntingtonien (en référence à Samuel Huntington, dont la théorie du Choc des civilisations fit, en son temps, couler beaucoup d’encre et inspira les guerres de Georges W. Bush) où les civilisations, souvent résumées à des courants politico-religieux, s’affrontent.

Cela ne fait toutefois pas de ce roman une anticipation néo-conservatrice, ou une parabole idéologique : le ton est celui du thriller d’anticipation, à peine émaillé de quelques points de vue explicatifs. Le futur décrit dans Heptagone complète, développe et densifie le monde de Forteresse : on passe d’une Asie qui oscille entre grandeur passée et modernisme échevelé, à l’Amérique théocratique et totalitaire, on revient dans une Europe qui frise la guerre de religion, on visite une Amérique latine livrée aux grands conglomérats… Mais dans ce beau monde, les grandes firmes, devenues de quasi États, se livrent à des guerres discrètes dont les vrais États, démonétisés, ne sont plus que le décor. De là à dire que la Crise de la dette est passée par là…

Certes, on pourra reprocher à Panchard une vision parfois très marquée, idéologiquement, et donc assez stéréotypée, des intégrismes religieux, en particulier de l’islamisme. En ce domaine, la nuance aurait donné plus de profondeur à certains personnages (secondaires, certes). La lecture d’Heptagone confirme en tout cas bien une chose : l’essai de Forteresse a été résolument transformé, et il est désormais urgent d’attendre les prochaines livraisons de Georges Panchard. Un auteur décidément à suivre.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 06/06/2012 )
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