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Littératureet Fantastique & Science-fiction  

Le Codex du Sinaï - Le Quatuor de Jérusalem - Tome 1
de Edward Whittemore
Robert Laffont - Ailleurs & demain 2005 /  20 €- 131  ffr. / 304 pages
ISBN : 2-221-10127-8
FORMAT : 14x22 cm

Bizarre, bizarre

Qui se souvient de R. A. Lafferty et de cette mystérieuse organisation Crocodile qui contrôle secrètement le monde (Lieux secrets et vilains messieurs) ? Sans doute les mêmes qui, quelques années plus tard, embarquèrent avec Arthur Accroc pour un tour monumental dans l’espace (La Trilogie du routard galactique) et s’en vont actuellement à travers les ruelles d’Ankh-Morpok aux côtés du magicien Deuxfleurs de Terry Pratchett (La Huitième couleur et ses suites…). L’humour, le fantastique et la SF ne font pas souvent bon ménage : frilosité des auteurs (ou médiocrité de leur talent) et manque d’intérêt du public (qui recherche généralement plus une épopée à la Star Wars qu’un bon éclat de rire) se conjuguent pour laisser en déshérence ce genre pourtant prometteur. Alors à tous ceux que Douglas Adams a laissé orphelins, il est urgent de signaler une série plutôt réussie, pétrie d’humour absurde, de fantasy débridée, et d’uchronie délirante : Le Codex du Sinaï, premier tome d’une saga, Le Quatuor de Jérusalem.

Et ça démarre fort, avec la présentation de quelques héros de belle facture, comme ce Strongbow Plantagenêt, véritable duc anglais de 2 m 30, aux mœurs étranges, spécialiste d’escrime, de botanique et de sexe, ou encore Skanderberg Wallenstein, noble albanais devenu moine, et – détail intéressant – découvreur du plus ancien manuscrit de l’Evangile. Comme dans toute uchronie, il s’agit ici de revisiter l’Histoire, et l’auteur n’y va pas de main morte : le lecteur y découvrira entre autres la vraie nature de la Bible, aussi bien qu’une théorie lumineuse, le Strongbowisme, qui explique toute l’histoire de l’humanité, balayant de manière scandaleuse les autres visions de l’histoire. Et surtout, il assistera aux démêlés de Strongbow Plantagenêt avec sa mère patrie et l’univers en général. Au passage, le lecteur – parfois un peu déconcerté, mais nullement découragé – croisera des gens bizarres : un mystérieux arabe vieux de trois mille ans (à quelques années près) aux récits délirants, véritable incarnation de la ville de Jérusalem, un jeune révolutionnaire irlandais amoureux transformé en héros d’une guerre passée depuis longtemps… tous à la recherche de ce mystérieux codex du Sinaï. Au cœur de l’histoire, Jérusalem, ville à plusieurs facettes, sert de théâtre à un récit riche et étonnant, qui confronte l’histoire du XXe siècle et la folie contagieuse de «l’Orient mystérieux». Une version contemporaine, décalée et délirante, des Mille et une nuits ?

L’ensemble est inclassable : doté d’un humour aiguisé, très «british», Edward Whittemore a signé là un monument baroque, à mi chemin entre le conte philosophique, le roman fantastique et le thriller historique. Le rythme est original : après un début sur les chapeaux de roue, très drôle, la suite tend à s’étirer en longueur, notamment quand il abandonne le récit pour des dialogues philosophiques pas toujours réussis : il y a là une volonté de recherche stylistique qui peut lasser. En fait, c’est principalement dans les portraits de personnages divers, descendants les uns des autres, et leurs aventures et mésaventures abracadabrantesques, que Whittemore excelle, révélant une ironie et un sens de l’humour au second degré très développé. Tel quel, l’ouvrage est surprenant mais il saura sans difficultés trouver ses lecteurs, amateurs de contes orientaux à la sauce uchronique.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 01/06/2005 )
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