L'actualité du livre
Littératureet Policier & suspense  

Le Onzième pion
de Heinrich Steinfest
Carnets Nord 2012 /  20 €- 131  ffr. / 409 pages
ISBN : 978-2-355-36057-2
FORMAT : 14cm x 20,9cm

Corinna Gepner (Traducteur)

Partie d’échecs

Très connu en Allemagne et en Autriche (4 fois lauréat du prix du roman policier allemand), Henrich Steinfest n’a eu que deux romans publiés en France : Requins d’eau douce (Carnets Nord, 2010) et Sale cabot (Phébus, 2006).

Le Onzième pion surprend : l'ouvrage commence comme un roman policier classique, dans l’atmosphère paisible d’une famille de trois personnes, Georg Stranski, sa femme Viola, leur fille adolescente Mia. Or, brutalement, le dîner est perturbé par la projection d’une pomme, jetée à travers la fenêtre qu’elle brise. Et durant la nuit Georg reçoit un étrange coup de téléphone. Lorsque le lendemain matin Viola constate sa disparition et appelle la police, on est encore dans le récit classique : l’enquête est confiée à une inspectrice, Lilli Steinbeck, qui, assez vite, fait le lien avec sept autres disparitions mystérieuses et établit que le point commun entre les 8 hommes est un séjour à Athènes quelques années auparavant. Avec l’autorisation de sa hiérarchie, elle s’y rend, est accueillie avec quelques réticences par la police locale, et, désireuse, en dépit des intimidations qu’elle subit, de poursuivre l’enquête, s’adjoint les services d’un étrange détective obèse, Kallimachos.

A partir de là, le récit prend une totale autonomie par rapport aux codes narratifs du roman policier et le lecteur se trouve entraîné - libre à lui de suivre ou non ! – dans une histoire résolument, absolument, totalement, extravagante, de gigantesque jeu d’échecs humain dont Lilli pourrait être le onzième pion. Autant prévenir immédiatement les lecteurs soucieux de rationnel et de cohérence : qu’ils passent leur chemin ; le livre d’Heinrich Steinfest n’est pas pour eux ! Il ne ressemble à rien d’ailleurs, l’auteur s’autorise toutes les pirouettes, les rebondissements les plus invraisemblables, les bouts de récits rattachés de façon plus ou moins forte à la narration centrale, dispose de ses personnages comme des pions, au gré de ses envies, et liquide le tout dans un épilogue désinvolte.

Cependant, le lecteur qui adhère à ce récit volontairement décousu, d’une absurdité surréaliste, voit son attente largement récompensée ; il lit non un mais plusieurs romans : un polar, une enquête à la James Bond, un brin de science fiction, un peu de roman d’aventures, voit passer des personnages plus ou moins déjantés ou intrigants, se perd, se retrouve - plus ou moins ! -, le tout sous l’ombre inquiétante de Batman… 24 chapitres aux titres énigmatiques : Dzing !...Vert… En chaque Hollandais se cache un Finlandais... Satanic… Un Baby au travail… Le club des animaux morts…

Heinrich Steinfest a placé en épigraphe deux citations : l’une de Fernando Pessoa, tirée du Livre de l’intranquillité - «Finalement j’ai sommeil, car, je ne sais pourquoi, il me semble que le sens de tout cela, c’est dormir» ; l’autre tirée d’un dialogue du film L’Interprète, entre Nicole Kidman et Sean Pen : «Qu’est-ce que vous faites quand vous ne pouvez pas dormir ? Je reste éveillé». Façon d’avertir le lecteur que la logique de ce récit débridé est celle des rêves…

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 06/01/2012 )
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