L'actualité du livre
Littératureet Policier & suspense  

L'Ile des chiens
de Patricia Cornwell
Calmann-Lévy - Crime 2002 /  21,10 €- 138.21  ffr. / 442 pages
ISBN : 2-7021-3244-8

Y-a-t-il un pilote dans le polar ?

Certains écrivains sont liés à un personnage par des souterrains mystérieux, des nœuds identificatoires quasi-alchimiques : les expériences d'émancipation sont rarement réussies. Pas d'exception en ce qui concerne cette troisième tentative de Patricia Cornwell, après La Ville des frelons et La Griffe du Sud (tous deux chez Calmann-Lévy). Loin du médecin légiste de l'Etat de Virginie - Kay Scarpetta, héroïne de onze romans ténébreux et désespérément lucides -, la reine de l'exploration du "serial killing" semble perdre instantanément son aura. Quant à son ambition de prospecter dans le périlleux domaine de l'humour, on jugera sur pièce, à condition de remettre la main sur le tube d'aspirine...

Andy est flic, ou journaliste, ou les deux (à vrai dire, ce n'est pas très clair). Couvert par sa supérieure, Hammer, dont le drame existentiel est d'avoir perdu Popeye, son toutou adoré (on subodore vite que celui-ci a été kidnappé par un quelconque génie du mal), il crée un site Internet et publie anonymement des articles bourrés de digressions touffues. Lesdits textes restent tout à fait ésotériques pour le lecteur, mais possèdent cependant le pouvoir de terrifier un vieux Gouverneur à moitié aveugle et pétomane (on glissera, par compassion, sur le mauvais goût consternant des gags répétitifs, exploitant l'un ou l'autre handicap). Lequel va, en conséquence, aller faire peindre des bandes blanches sur les routes d'une petite île peuplée de pêcheurs et de crabes dégénérés, dont la principale caractéristique est de "parler à l'envers" - comme si le récit n'était pas déjà assez déroutant.

Ajoutez à ce fatras une bande de pirates de la route, dont il faut impérativement détourner l'attention du public (aucune inquiétude en ce qui concerne le lecteur, néanmoins : à ce stade, son intérêt est déjà bien émoussé), une jeune et séduisante serial-killeuse d'origine extraterrestre, une First Lady soupçonnée à tort d'adultère à cause de sa passion coupable pour les trépieds (?) et tout un défilé de personnages secondaires caricaturaux, dont il est impossible de déterminer avec précision à quoi ils servent dans la progression de l'intrigue, laquelle est d'ailleurs - et fort logiquement, pour une fois - quasiment inexistante.

Bref, en guise de "satire corrosive et irrévérencieuse" (promesse imprudente de la troisième de couverture), on a l'impression d'assister à un équivalent écrit de ces navrantes pochades cinématographiques à l'américaine, le déficit de contrôle de l'écrivain sur son roman se substituant à la disparition du pilote de l'avion. On sait d'ores et déjà que les ventes seront excellentes, étant donné le nom de l'auteur : l'intérêt de la manœuvre est évident. On espère donc, mais un peu tard, qu'on ne l'y reprendra plus... et que cette triste dégringolade ne portera pas tort à la toujours parfaite Kay Scarpetta.

Isabelle Nouvel
( Mis en ligne le 04/03/2002 )
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