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Littératureet   

Trois mois de fièvre
de Gary Indiana
Phébus 2005 /  20.00 €- 131  ffr. / 300 pages
ISBN : 2752901038
FORMAT : 13x21 cm

Traduit de l’anglais (USA) par P. Aronson et E. Cornet.

Gare au Gary !

Le titre de ce «roman-enquête» tient ses promesses : Trois mois de fièvre est un récit haletant, dans lequel nous suivons pas à pas l’évolution fatale d’un individu basculant dans le crime en série. Et il ne s’agit pas de n’importe quel assassin : car Andrew Cunanan est ce jeune homosexuel qui, en 1997, défraya la chronique en abattant à bout portant le couturier Gianni Versace, sur le seuil de sa luxueuse résidence de Miami.

La critique a déjà eu amplement recours à l’analogie pour situer la démarche d’écriture de Gary Indiana dans le droit sillage de celle d’un Truman Capote. Et pourtant, s’il est vrai que Trois mois de fièvre n’a rien à envier en qualité et en rigueur à De Sang froid, il procède moins à l’analyse systémique des homicides qu’au profilage du tueur lui-même, dont un portrait fascinant nous est livré ici, avec documents réels à l’appui (témoignages d’amis et de connaissances, rapports de police, etc.). Les zones d’ombre de l’emploi du temps ou des motivations réelles de Cunanan sont quant à elles comblées par les interprétations, invérifiables mais qui sonnent extrêmement juste, de l’écrivain.

Ce mélange détonant donne donc une machine littéraire d’une efficacité redoutable qui, si elle semble laisser fort peu de place à l’imagination, privilégie la reconstitution distanciée des actes, des pensées et des dialogues.

Décentrant la perspective de son point névralgique (le spectaculaire flinguage d’un créateur de mode mondialement reconnu) pour aborder d’emblée les origines familiales et le caractère du personnage principal, Indiana laisse le lecteur plonger à la suite d’Andrew Cunanan dans le milieu homo new-yorkais et découvrir, à travers ce prisme, la faune interlope des clubs privés, des amateurs de relations éphémères, de pur trash, de fist-fucking et de soumissions diverses. Cependant, l’auteur ne suggère jamais que c’est à ce que certains pourraient qualifier de déviances ou de frustrations sexuelles qu’il s’agit d’imputer la carrière criminelle, aussi fulgurante que sanglante, de Cunanan. Indiana dresse plutôt ici l’inventaire des mensonges, des facettes cachées, des questionnements identitaires (le jeune homme d’origine philippine se fera fallacieusement passer pour juif toute sa vie), pour privilégier la figure du mythomane pur et du hâbleur, plutôt que celle du minable gay raté.

Autre point fort : la charge contre le traitement médiatique de l’affaire, dont les errements, le voyeurisme et les déductions hâtives sont cités tout au long de l’histoire, avec ironie et parfois même colère sourde. Les charognards de la vérité – qui profitent du moindre scandale ou du fait divers le plus sordide pour faire leur beurre en vendant au prix fort une poignée de clichés exclusifs ou un scoop douteux – en prennent aussi pour leur grade.

En cela, Gary Indiana ne prétend pas faire œuvre d’écrivain journaliste, mais bien mener à part entière son travail de romancier, qui consiste à insuffler humanité, densité et profondeur à un personnage dont la réalité vécue dépasse à maints égards le domaine de la fiction. S’il s’agissait de trouver un équivalent français à ce récit, nous citerions en premier lieu L’Adversaire d’Emmanuel Carrère, qui illustrait lui aussi cet immense avantage qu’a la littérature par rapport au discours rationnel, soit de pouvoir entrer en empathie avec une conscience au comportement aberrant, a priori hors normes, incompréhensible, inadmissible. «Essayer de comprendre, sans juger» : la devise simenonienne se vérifie dans toute son ampleur jusqu’à la dernière ligne de ce livre magistral.

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 01/09/2005 )
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