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Littératureet   

La Souterraine
de Christophe Pradeau
Verdier 2005 /  12 €- 78.6  ffr. / 160 pages
ISBN : 2-86432-445-8

Nuit & Brouillard

On se laissera envoûter par la plume raffinée et aiguisée de Christophe Pradeau qui, dans ce roman nostalgique, dit si joliment la beauté des mots, des souvenirs et des songes. Les trois sont mêlés, comme indissociables, le noir du Verbe servant à rendre moins floues les brumes du temps qui passe et de rêves capricieux…

C’est d’ailleurs dans un brouillard nocturne que le narrateur installe son récit, celui de routes aveugles devant relier, en voiture, la maison de la grand-mère, à Lubersac, et chez eux. Contre la nuit mangeuse des formes et le brouillard, terrible acolyte, Laurence et son frère inventent un jeu, plusieurs en fait : celui de reconnaître au moindre détail, la physionomie de la route, celui de tisser sur ce canevas des histoires où l’imagination s’emballe : “de souvenirs interpolés, d’images arrachées à l’un ou l’autre de ces mondes imaginaires que nous fréquentions à longueur de temps, nous qui n’avions de cesse d’ouvrir livres et télévisions et d’explorer l’intimité insituable de nos rêves.” (p.45)

Contre le froid et l’obscurité, les mauvais souvenirs et les blessures de l’histoire, de l’Antiquité à nos jours, le narrateur et son aînée mobilisent la folle du logis, amants précoces des lettres, jongleurs en fantaisie. Laurence ici, sert de modèle, admirée par son frère. Chaque humeur de l’encre ici posée le dit, avec sa noirceur… Laurence est l’aiguilleuse, et l’héroïne de ce joli roman : “aussi, quand elle venait de finir un livre, en commençait-elle aussitôt un autre, avec la hâte fébrile du soldat qui traverse un pré à découvert, et jamais Laurence n’aurait accepté de s’abandonner au sommeil sans avoir serré contre elle le petit volume rectangulaire, riche encore de terra incognita, qui lui était comme la promesse chaque jour renouvelée de la continuité du monde.” (p.110)

Un beau texte, court et cisaillé de main d’orfèvre, à découvrir. Un premier roman très réussi, même si la fin convainc moins car là, l’imagination a rompu les amarres et l’on se trouve dans un tout autre récit, trop loin de la route et de ses murs de brumes. Espérons que Christophe Pradeau, ici, n’ait pas déjà tout dit…

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 09/09/2005 )
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