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Littératureet   

Faut-il rentrer de Montevideo ?
de François Bott
Le Cherche Midi 2005 /  13 €- 85.15  ffr. / 155 pages
ISBN : 2-7491-0425-4
FORMAT : 14,0cm x 21,0cm

Sortie des artistes

D’abord, trois visages qui hantent la couverture. Clichés de noir et de blanc, un peu flous, comme volés. Trois regards, aussi. Sombres et exaltés. Par ce truchement de la photographie, on devine déjà des destins hors du commun. Isidore Ducasse, Arthur Cravan et Rik Van Steenbergen appartiennent à des temps et des mondes différents. Pourtant, ils ont brûlé leur vie à la même utopie : connaître la gloire et la retenir. Ils ont juste oublié que cette maîtresse capricieuse «n’est jamais très éloignée de la faillite».

François Bott réunit ces trois personnages tragiques dans un unique roman. Biographe tendre et inspiré, l’ancien directeur du Monde des livres est parti en pèlerinage littéraire, pour mieux apprivoiser encore ses fantômes familiers et héroïques. Des bords de la Seine jusqu’aux tripots d’Anvers, et de Montevideo aux plages brûlées du Mexique. Avec pour première escale, la cité natale d’Isodore Ducasse, comte de Lautréamont. Au détour d’une belle avenue coloniale, il croise la silhouette tourmentée du jeune homme sombre qui fantasme sur sa future consécration poétique et parisienne. Quelques années plus tard (1870), le même archange déchu mourra, seul, dans un garni miteux de la rue du Faubourg-Montmartre. Ses Chants de Maldoror deviendront oeuvre, certes, mais trop tard. Fallait-il rentrer de Montevideo ?

Arthur Cravan, lui, ne s’est jamais arrêté nulle part. En vrai précurseur des Années Folles et du Surréalisme, il choisit de quitter les rives trop sages et tièdes du lac Léman pour suivre ses chimères. Sur les rings ou dans les bras d’une femme, il invente sa vie, et commence à écrire au début du XXe siècle pour «célébrer les gratte-ciel de Manhattan». Australie, Portugal, Paris rive gauche, Veracruz : autant de destinations avant un nouveau départ. Ce poète insolent et provocateur disparaît quelque part dans le golfe du Mexique. Pas de témoin, pas d’indice. Fallait-il quitter Lausanne ?

Trois fois Champion du Monde, «le grand Rik» s’impose dans presque tous les pelotons cyclistes de l’après-guerre. Aux côtés de Coppi et Bobet, il est «le funambule de sprints». Ses espérances d’enfant le poussent sur toutes les routes, avec rage et ravissement. L’important est de courir, de rouler, d’avaler les kilomètres. A chacun ses fantasmes, à chacun sa part des ténèbres. Rik Van Steenbergen quitte la course pour s’adonner à la drogue du jeu. L’alcool et l’abus des tapis verts signent sa déchéance solitaire. Fallait-il revoir Anvers ?

Le roman de François Bott ressemble à une longue et nostalgique flânerie, à travers les paysages et les âges. Car pour chaque héros, l’auteur dresse aussi le portrait d’une époque et d’une société. Tous les Arts sont convoqués. Belle leçon de culture humaniste. Restent les trois figures mythiques et émouvantes. Au-delà des faits, François Bott livre les pensées intimes, métaphysiques ou irrévérencieuses (c’est selon le personnage) de ses compagnons de routes. Passagers clandestins de la vie dont la disparition anonyme interroge. «On a fait un petit tour sur cette planète et l’on s’en va, et la vie que l’on a menée devient improbable pour avoir été si brève.»

Stéphanie Scaringella
( Mis en ligne le 17/10/2005 )
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