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Littératureet   

Haut et court
de Philippe Cohen-Grillet
Le Dilettante 2012 /  17 €- 111.35  ffr. / 252 pages
ISBN : 978-2-84263-720-0
FORMAT : 12,0 cm × 18,0 cm

Humour tranquille ou désespoir souriant

Dans une ville du nord de la France, quatre personnes – le père, la mère, le fils et la fille – sont retrouvées pendues dans le pavillon familial. Le premier roman de Philippe Cohen-Grillet s’inspire d’un fait divers réel avec un humour décapant.

Le narrateur n’est autre que… le fils décédé, racontant, commentant leur histoire d’un ton tranquille, parfois cinglant. Nous sont détaillées préparation et mise au point : le choix de la corde, du nœud : «Allez choisir ! Heureusement un vendeur est venu à ma rescousse. Pour ça ils sont très bien chez Decathlon… Et il m’a dégoté une belle corde : six millimètres de diamètre blanche avec des rayures bleues, vendue au mètre, à 0,95 euro. J’en ai pris douze mètres».

Le père est comptable à la retraite mijotant dans la déprime. La mère est femme au foyer, spécialiste des tomates farcies, et pleurant trop souvent en silence. «Ma sœur s’est approchée pour déposer un baiser sur sa joue. Maman a esquissé un sourire forcé et fait comme si de rien n’était : - C’est vrai que le hachis était trop sec». A chaque jour de la semaine son plat, ça sert de repère commode : paupiette au lard le jeudi soir… La fille travaille - de moins en moins - à l’auto-école, en quasi chômage. Quant au narrateur, il est magasinier au supermarché.

La vie ordinaire de cette ville ordinaire est évoquée, incidemment mais de façon acerbe : le fonctionnement du supermarché avec son directeur filou cynique, l’auto-école ''Michel et Denise'' qui bat de l’aile, le comportement des filles «plus poussées par un mimétisme local que par une irrépressible pulsion reproductrice. Chez nous, on enfante tôt… toutes les postadolescentes poussent des landaus, par crainte d’être sinon considérées comme des «putes»».

L’auteur concilie le récit en ligne claire avec une satire virulente : Hergé revisité par Céline. On sourit à l’activité méthodique du gendarme chargé de l’enquête, le lieutenant-colonel Benoît ; cette mystérieuse quadruple pendaison aurait dû être le «point culminant d’une carrière sans brio mais appliquée et besogneuse». Dans la rue, on n’est pas surpris de trouver la vieille voisine Madame Bin guettant derrière son rideau. Mais au fil des pages le ton se fera de plus en plus cinglant contre «cette sale bique… vieille carne ! Sûr que pour tes funérailles, y aura moins de monde».

L’histoire d’amour qui aurait dû transfigurer cette vie est elle-même avortée. Le récit en devient tragédie. Par timidité, par manque de confiance en soi le narrateur n’osera pas faire le geste qui sauve vers Caroline dont il est amoureux. L’incendie du supermarché ponctue la tragédie sociale, la visite de Caroline au cimetière met un point final à une autre tragédie : «T’es vraiment trop con, trop con…».

Humour tranquille ou désespoir souriant ? Céline se penche bien sur l’épaule d’Hergé…

François Dirson
( Mis en ligne le 05/10/2012 )
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