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Littératureet   

Trois fois le loyer
de Julien Capron
Flammarion 2012 /  19 €- 124.45  ffr. / 380 pages
ISBN : 978-2-08-127266-8
FORMAT : 14,5 cm × 22,1 cm

''Demain, ils gagneront peut-être''

Un photographe travaillant à la pige pour une publication en-ligne, une cuisinière rêvant de démarrer sa propre affaire, un restaurant d'un concept nouveau surfant sur la vague du ''bien manger'' et de la cuisine pour tous et par tous sur écran plat. Cyril et Pauline : jeunes mais plus si jeunes pour qu'on puisse trouver des excuses à leur précarité. Mais jeunes encore, sans assurance-vie, comptes épargnes ni pavillon de banlieue. Deux parigots bo-bos, vivant, croient-ils, d'amour, d'eau fraîche et de leur créativité. Et patatras...

Car l'argent vient à manquer. Le projet de restaurant ne sera pas financé et le site de Cyril bât de l'aile, réduisant l'employabilité du photo-journaliste à une portion très négligeable. Ont-ils dès lors bien fait de donner leurs préavis pour louer un appartement qu'ils n'ont pas vraiment encore (une sous-location auprès d'une amie, aucun risque donc ?...). Et patatras.

De fil en aiguille, mais plutôt rapidement, les deux tourtereaux se retrouvent menacés par la clochardisation. Plus de sous, plus de toits. Ils finissent, éberlués, dans un hôtel de gare un nom lourd de sens : "Le Terminus". Ils ne sont plus solvables, donc plus fiables pour prétendre à une nouvelle location, proposer un dossier zéro défaut, des garanties, des fiches de paies. Les parents, les amis, les sourires... se font rare, reflets ternes, d'"une nation qui, sous le terme "Les Français", est digérée chaque jour par les charmeurs de trouille, avec une insolence d'estomac" (p.73).

Ce premier tiers du roman est ainsi le plus passionnant, qui offre avec finesse un début de radioscopie d'une France malade, et la descente aux enfers, finalement assez crédible, de deux trentenaires un peu trop naïfs.

Le reste, c'est le poker, issue de secours du couple, pense Cyril, qui commence à jouer sérieusement en ligne, porté par une barraca incroyable qui l'incite à s'inscrire avec Pauline à un tournoi international dont le prix sera un appartement cossu du 5ème arrondissement parisien. Le suspense se coud alors aux tables successives, à l'avancée pénible des deux amants, leurs mains parfois chanceuses, parfois pas, les bluffs magistraux, d'autres maladroits. Et si leur naïveté, ici, était justement leur plus gros atout ?...

Julien Capron, plume qu'on aime, sait faire passer les nuances du jeu, les tactiques, les règles, la philosophie même du poker. Associant cet univers interlope à celui non moins obscur du déclassement social, il offre une fable convaincante sur le malaise de la société contemporaine, de la société France. On aurait simplement aimé qu'il insiste plus sur les affres de ce naufrage à deux, sur la petitesse des gens composant le monde de Cyril et Pauline, leur égoïsme, leurs craintes mesquines. Oscillant entre le drame social et le thriller, le roman aurait peut-être gagné à suivre une ligne plus claire. En l'état, il tient malgré tout très bien en main. On le recommande.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 19/11/2012 )
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