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Parle-moi du sous-sol
de Clotilde Coquet
Fayard 2014 /  17 €- 111.35  ffr. / 215 pages
ISBN : 978-2-213-68135-1
FORMAT : 13,7 cm × 21,5 cm

Mélodie en sous-sol

Le titre de ce premier roman très réussi de Clotilde Coquet vient d’une réplique de Samuel Beckett dans En attendant Godot. C’est le début de l’été, sur le trottoir, devant un grand magasin de luxe. La narratrice n’a pas vingt-cinq ans et, après sept ans d’études d’histoire de l’art et une thèse interrompue sur les enluminures, elle vient suivre une formation d’une journée pour être caissière intérimaire. Elle est découragée mais tente de le dissimuler : «le travail est un trésor, prétend la fable» (p.12).

Elle accepte cet emploi au rabais qui ne correspond en rien à ses capacités, pour rassurer sa banquière et l’ANPE. C’est Monique, ancienne caissière et formatrice depuis peu, qui enseigne à ce groupe de jeunes en mal de travail le maniement de la caisse enregistreuse. Leur guide de survie : «encaisser sans problème».

Le fiancé, Vincent, n’est pas mieux loti ; il rêve de devenir acteur et fait de la figuration comme cadavre, emploi alimentaire loin de ses aspirations profondes : «Et Vincent continuait à serrer les mâchoires, la colère accentuait sa maigreur incroyablement photogénique. Il serait bientôt aussi pâle que le Christ de Rembrandt, au détriment de sa ressemblance avec les personnages du Titien» (p.56).

La narratrice a eu une autre vie avant de devenir caissière au sous-sol, elle a passé deux ans comme vacataire au ministère de la Culture, et inventé un parcours jeunes visiteurs dans un musée tout neuf. Tous ses collègues au rayon jouets sont surqualifiés : Félix, l’animateur du karaoké, est spécialiste de Baudelaire, le vigile a fait la guerre en Bosnie. Ils sont déclassés et cet aspect sociologique est bien souligné. Clotilde Coquet insiste sur le caractère répétitif de leur quotidien et les promesses de vie non tenues. La narratrice offre un regard décalé, par sa culture, et fait souvent des références dans son récit à la fable, elle voit son entourage professionnel comme un bestiaire agressif mis en cage. Les clients sont insolents et la traitent mal. Le bouquet final s'inscrit dans la période de Noël avec les chants, les décorations et la foule des clients hystériques.

Est-ce qu’elle va rester ou contacter le rédacteur en chef ? «Le moment était venu de lui demander ce qu’il avait fait de mes synopsis brillants et judicieux sur les mille secrets de l’animal dans l’art, d’Isidore de Séville au bestiaire d’Aberdeen, des enluminures du Roman de Renart» (p.182).

Parle-moi du sous-sol déroule cette chronique intimiste et douce-amère, particulièrement bien écrite. C’est sans illusion mais avec un vrai plaisir littéraire, porté par un sens des réalités parfaitement rendu, que le lecteur suit la jeune femme dans ses tribulations tant professionnelles que personnelles. On admire avec empathie l’abnégation de l’héroïne et la causticité de sa vision des clients. Et l'on espère une issue à ce déclassement ubuesque...

Un premier roman très réussi.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 26/09/2014 )
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