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Littératureet   

Boussole
de Mathias Enard
Actes Sud - Domaine français 2015 /  21,80 €- 142.79  ffr. / 377 pages
ISBN : 978-2-330-05312-3
FORMAT : 14,7 cm × 24,0 cm

Prix Goncourt 2015

Magnétique

Toute une nuit dans un appartement viennois… Franz Ritter y cherche le sommeil sans jamais le trouver. Malade, affaibli, redoutant que la maladie ne le laisse trop vite approcher de la mort, le musicologue épris d’Orient revisite sa vie, heure après heure, au gré des divagations de son esprit insomniaque, comme aiguisé par les heures blanches de la nuit. Ses voyages (Istanbul, l’Iran, la Syrie), la femme aimée (l’incandescente Sarah), ses amis (français, iraniens, syriens) et surtout l’Orient envoûtant, se mélangent dans un récit fait d’associations d’idées que Franz évoque au détour d’un souvenir ou d’une réminiscence.

Dans une langue magnifique qui sait jouer du lyrisme sans tomber dans l’excès, Mathias Enard donne à voir la fascination exercée par l’Orient sur des générations d’écrivains, de musiciens et autres archéologues occidentaux. Véritable encyclopédie des échanges entre deux parties du monde qui aujourd’hui se redoutent, Enard édifie ici un bouleversant hommage aux cultures persanes et arabes, et à tous ceux qui, happés par un Orient hypnotique, ont consacré leur vie à la découverte de l’altérité orientale. De l’autrichien von Hammer-Purgstall, traducteur de Hafez et des Mille et une nuits, à Annemarie Schwarzenbach, l’aventurière suisse ou à l’islamologue Louis Massignon, Enard construit la généalogie d’Européens passionnés par les civilisations d’Orient. Son personnage, Franz Ritter, se plaît à décrire les emprunts nombreux que nos compositeurs firent aux harmonies et aux rythmes venus de l’est. Se souvenant des recherches passionnément menées par Sarah, il évoque l’interpénétration des cultures européennes et orientales, comment elles se nourrirent, se répondirent, reprenant à leur compte les emprunts multiples dont elles s’alimentèrent durant des siècles.

Au milieu de ces multiples digressions, comme autant de chemins de traverse qui laissent découvrir des paysages inconnus et captivants (on hésite à noter sur un bout de papier tout ce qu’il faudrait qu’on lise, qu’on écoute, et puis on renonce, on y reviendra, on le relira), surgissent les souvenirs personnels de Ritter : son initiation à l’Orient, par Istanbul, sa difficile acclimatation de jeune franco-autrichien couvé par sa mère, sa découverte du pays de Cham, la Syrie, où toutes les cultures et tous les paysages s’entremêlent, la poursuite de Sarah jusqu’en Iran et le récit d’une vie culturelle qui ne veut pas mourir dans un Téhéran en proie au régime des mollahs. Et bien sûr, son amour pour Sarah, comme une métaphore de l’attrait irrésistible qu’exercent sur lui les pays du Levant. A travers le récit d’une nuit à Palmyre ou d’un concert à Téhéran, purs instants de grâce, Enard évoque le magnétisme qu’exercent tout autant l’Orient et Sarah sur Franz, qui, telle l’aiguille de la boussole offerte par Sarah, n’a pour seul horizon qu’un Orient toujours à découvrir et à tenter de comprendre.

Sans doute, certains se sentiront rebutés par le foisonnement des références. L’érudition de Mathias Enard est prodigieuse et force le respect. Mais que ces lecteurs persévèrent, qu’ils se laissent bercer par les vers d’Hafez ou de Pessoa, par les mélodies du luth de Nadim. Alors, la déclaration d’amour d’Enard pour un Orient aujourd’hui en proie à la destruction et au cauchemar, s’épanouira dans le cœur pour ne les quitter plus.

Amélie Bruneau
( Mis en ligne le 04/09/2015 )
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