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Littératureet   

Un amour impossible
de Christine Angot
Flammarion 2015 /  18 €- 117.9  ffr. / 216 pages
ISBN : 978-2-08-128917-8
FORMAT : 13,6 cm × 21,1 cm

Prix Décembre 2015

Moi, Christine A...

Christine Angot ne faisait pas partie des auteurs que l'on aimait lire : auto-fiction sans trait d'union vers son lecteur, style zéro glace, personnage boudeur sur des médias qui-l'a-do-rent. Rien de très appétissant, convainquant, et, pensions-nous, légitime. On avait lu quelques titres dans l'espoir de se laisser surprendre... en vain. Angot, au placard. Pensions-nous.

Et puis, les hasards du fonctionnement d'une rédaction on fait que le dernier Angot est resté sur la pile, sans collaborateur pour y croquer, livre orphelin dans l'été. Alors, parce-qu'il-faut-bien-parler-du-dernier-Angot, on s'est saisi du roman. Et le roman nous a saisi à son tour. Bigre, ce cru là, on l'a aimé !... Aimer n'est pas forcément le verbe le plus approprié. Disons plutôt que l'on a été intrigué, captivé, finalement convaincu.

Un amour impossible tire sa force d'une conjonction des temps, point nodal où dialoguent une femme arrivée au mitan d'une vie et une société se portant mal. Christine Angot évoque la relation, de la naissance à nos jours, entre Christine, personnage de roman, et sa mère. Un amour fusionnel que le temps délitera, érosion des corps et des âmes, et l'importance cardinale du viol incestueux, le poids de mécanismes sociaux et historiques qui, eux, ne se grippent pas.

Rachel Schwartz, modeste fonctionnaire juive de Châteauroux, tombe pour Pierre, bourgeois sûr de lui, intellectuel suffisant. Christine est le fruit de cette rencontre, "née de père inconnu", jusqu'à ce que Pierre finisse par la reconnaître, accepte de la rencontrer... Et la viole.

La mère ne voit rien, aveuglée par un amour frustré mais tenace. Le temps passe, l'adolescente devient femme, mère, elle est écrivain. Des liens se tissent à nouveau entre les deux femmes. Les maux et les mots, après s'être nourris réciproquement, à présent s'absolvent.

La romancière encapsule ces cinquante années en deux-cents pages, économe en mots comme toujours, souvenirs momifiés dans un savant dosage des détails qui importent, pour distiller l'émotion juste. Et tout sonne juste, terriblement juste dans le récit de ces vies certifiant par A + B cette loi sociale que les classes ne se mélangent pas, qu'être Juif reste un problème, que la Province, Châteauroux, la Diagonale du vide composent un no-man's-land social et culturel comme terreau du pire. Au mieux, l'ennui. Que la France... bof, bof.

L'épilogue du roman est ce long exposé par lequel Christine, l'auteure ET l'héroïne ego-fictive, inscrivent le drame individuel sur une trame qui les dépasse... et explique tout. Ce passage de l'ego à l'universel, tout du moins au niveau social et historique, permet de penser et panser les blessures, brodant sur l'événement, absurde par essence, un début de sens, tragique certes, éminemment pessimiste, mais sens malgré tout. Comme une raison d'être sociale par laquelle se reconstruit une raison d'être intime, liant une fille à sa mère. Et renaît la possibilité d'un amour.

Peut-être ici mieux, bien mieux qu'ailleurs, Christine Angot réussit-elle à légitimer son propos littéraire, dans une habile confusion des "je" et du "nous".

Thomas Roman
( Mis en ligne le 18/09/2015 )
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