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Littératureet   

Et la vie nous emportera
de David Treuer
Albin Michel - Terres d'Amérique 2016 /  22 €- 144.1  ffr. / 336 pages
ISBN : 978-2-226-31824-4
FORMAT : 14,2 cm × 20,5 cm

Michel Lederer (Traducteur)

Destins tragiques

Un beau roman dans l’excellente collection ''Terre des Amériques'' (Albin Michel) sur le hasard et ses conséquences… si tant est que le hasard existe. Le livre s’ouvre sur un Prologue : «Le village. 3 août 1952. Tout le monde se rappelle ce jour d’août 1952 où le Juif est arrivé sur la réserve». Ce jour là est aussi celui de la mort de Prudence, la jeune indienne, et de son bébé. Mais le roman commence dix ans auparavant par une autre journée d’août, en 1942, alors que les États-Unis sont en guerre et que, dans le Minnesota, le long d’une rivière, un indien silencieux d’âge mûr, Félix, entretient une propriété, Les Pins. Une propriété achetée par un couple, Jonathan et sa femme Emma, à l’initiative d’Emma, quelques années auparavant. Emma, obsédée par le souci de la perfection, avait décidé d’en faire un refuge bucolique pour la famille, loin de l’agitation de la ville où son mari est chirurgien. Jonathan n’y vient que peu, alors qu’Emma et leur fils Frankie y passent tous les étés.

Frankie, le personnage central du roman, objet de tous les regards et de toutes les attentions, Frankie qui en vacances découvre la liberté auprès de Félix, loin des attentions excessives d’une mère étouffante, et du regard critique de son père. Près de Félix d’abord, puis de Billy, jeune indien qui n’a qu’un an de moins, et auprès de qui il apprend la vie, la chasse, la nature. Deux mondes qui, le reste de l’année, s’ignorent largement : ceux des citadins blancs et des indiens ruraux.

Lorsque Frankie arrive cet été là pour un court séjour avant son départ pour la guerre, tout va basculer en quelques instants, l’équilibre fragile d’une «civilisation» rêvée par Emma, les relations entre Félix, Frankie et Billy. Le jour de son arrivée, que chacun attend avec un espoir joyeux, est aussi celui où, sur l’autre rive, en face de la maison, des battues s’organisent pour traquer un évadé du camp de prisonniers allemands qui a été installé là, en lieu et place d’un campement indien. Frankie et Billy partiront pour la guerre ; Félix qui avait fait la précédente restera, presque seul, aux Pins, seul à tenter de maintenir la vie. Autour des personnages principaux, les personnages secondaires sont bien campés, attachants. Progressivement, une vérité se fait jour sur l’instant décisif de la rupture, mais l’essentiel est ailleurs, dans les choix douloureux que fait chacun pour tenter de se reconstruire, de survivre, de revivre.

David Treuer, avec patience, lenteur et subtilité, déroule les destins contrariés de ces personnages qui ont perdu leur innocence. Il donne à voir par touches successives cette société où la vie d’un indien vaut moins que celle d’un blanc, où le fusil fait l’homme, où, sous le calme apparent des relations, la violence est partout présente. Fils d’un juif autrichien et d’une indienne obijwé, il présente avec finesse et tendresse ses héros dépassés par la fatalité et le déterminisme social.

Le titre original du roman en anglais est Prudence, du nom de l'héroïne dont la première page décrit la mort ; les traducteurs français ont préféré Et la vie nous emportera... Chacun des deux titres, en fait, résume le roman : la figure discrète et essentielle de Prudence, victime désignée... ou la fatalité qui s’impose.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 28/09/2016 )
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