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Une jatte de fraises
de Véronique Bruez
Bleu autour - Céladon 2018 /  13 €- 85.15  ffr. / 125 pages
ISBN : 978-2-35848-106-9
FORMAT : 13,2 cm × 17,0 cm

Subtiles couleurs

Qui connaît Sébastien Stoskopff, en dehors de quelques érudits historiens d’art, ou des strasbourgeois ? Véronique Bruez, après avoir travaillé en Italie et au Maroc dans le réseau culturel français, et publié La Terrasse des paresseux (Léo Scheer, 2011) et Napoli allegro con fuoco (Gallimard, 2014), propose aujourd’hui à ses lecteurs un autre type de promenade et d’errance, (re)découvrir cet artiste oublié : «Sa virtuosité m’émerveille toujours. La douceur de sa peinture a tempéré ma solitude glaciale. La vie simple et tranquille de ses toiles a magnifié la mienne. Voilà comment une jatte de fraises peut transformer votre vie». Jatte reproduite sur la couverture et qui se déploie en page intérieure.

Peintre alsacien, longtemps oublié, redécouvert dans les années 1950, Sébastien Stoskopff (1597-1657) a peint essentiellement des natures mortes. Véronique Bruez, fascinée par un de ses tableaux, une jatte de fraises, conservée au musée de l’Oeuvre-Notre-Dame à Strasbourg, lui rend aujourd’hui hommage dans ce très beau texte où elle déroule sa vie, ou du moins, à partir du peu que l’on en connaît, ce qu’elle en imagine. Un peintre du Grand Siècle qui «meurt dans des conditions mystérieuses, assassiné, le 11 février 1657». Pour quelle raison ? Jalousie ? Histoire de mœurs ? Peu importe au fond, il laisse une soixantaine de natures mortes, dont la première nature morte aux livres, des corbeilles aux verres transparents et fragiles, des objets seuls sur des fonds noirs.

Véronique Bruez, dans une belle langue, au vocabulaire rare et choisi, se plaît à énumérer les couleurs des peintres du XVIIe siècle, énumération qui est un univers à elle seule : «Albâtre, gorge de pigeon, ventre-de-biche, zinzolin, passe-velours, lie-de-vin, tourterelle, andrinople, beurre frais, cuisse-de-nymphe émue, grège, absinthe», même si Sébastien Stoskopff se caractérise essentiellement par ses noirs. Elle accompagne le peintre dans sa carrière, ses sujets, ses voyages : Paris, Venise, avant de revenir à Strasbourg. Elle s’interroge sur les énigmes que proposent ses tableaux, énigmes dont nous avons, pour l’essentiel, perdu le sens, signes fragiles d’une société érudite qui savait les lire, d’une civilisation disparue. Ses titres de chapitres sont tout aussi intrigants : Boue de Paris, Merde d’oie, Herbe de velours, Pou-de-soie, Vert gay/amourette, Singe envenimé, etc.

Nous suivons la vie de Sébastien Stoskopff à travers le regard de Véronique Bruez, jusqu’à sa mort : «Sébastien va rejoindre le fond noir de ses toiles, le vide fascinant, le rien, l’ambré de ses pêches, le grain de ses fraises, le rugueux de la boîte lorraine, la braise pétillante du réchaud. La disparition, la perte, la fatuité et la finitude de ses vanités sont devenues réelles. Sa palette est maintenant espagnol malade, singe mourant, souci de hanneton. Il va seul par-delà ses suaves lavis, dans la nuit obscure, il va, obscur dans la nuit seule».

Une écriture raffinée, un moment heureux, hors du temps, publié dans une collection nouvelle et prometteuse, au nom qui rappelle les couleurs du Grand Siècle : ''Céladon''.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 09/11/2018 )
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