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L’art flamand et hollandais - Belgique et Pays-Bas 1520-1914

Citadelles & Mazenod - L'art et les grandes civilisations 2002 /  193 €- 1264.15  ffr. / 620 pages
FORMAT : 25 x 32

Sous la direction de Thomas DaCosta Kaufmann.
500 illustrations couleur et 150 noir et blanc.
40 plans et cartes, 55 sites.


Magiciens du Nord

Les éditions Citadelles & Mazenod souvent nous séduisent, nous étonnent, nous enrichissent. A présent elles nous enchantent, et c’est d’un coeur galvanisé que le gratte-papier impécunieux s’apprête à évoquer ces magiciens du Nord qui ont pour nom Pieter de Hooch, Gerard ter Borch, Gabriel Metsu, Jan Steen, et le plus doué de tous, Jan Vermeer.
L’Art flamand et hollandais couvre une période allant du début du 16e siècle - où s’illustre notamment Pieter Bruegel l’ancien dans un style par moments comparable à celui de Bosch - à l’orée de la modernité, marquée notamment par des artistes tels que Van Gogh, James Ensor ou encore Mondrian. Mais c’est bien à n’en pas douter le coeur du 17e siècle des Pays-Bas du Nord, c’est-à-dire des régions d’Amsterdam, de Delft ou de Haarlem, qui constitue l’épicentre de l’ouvrage, comme le pôle où convergent les regards.

Avant Vermeer, il y a eu au moins deux immenses figures de l’art néerlandais : Rubens et Rembrandt. Le premier s’illustra notamment dans la peinture mythologique et d’histoire antique. Il peignit au début des années 1610 une descente de croix qui n’est pas sans faire penser à celle, plus touchante cependant, que devait réaliser quelque vingt ans plus tard Rembrandt. Rubens, à la différence de Rembrandt, nous éblouit plus qu’il ne nous émeut. Par rapport à la manière réaliste, sinon naturaliste de Rembrandt, l’art de Rubens est voué au grandiose, au spectaculaire : ceux, notamment, de la série consacrée à L’Education de Marie de Médicis, visible au Louvre, et dont le livre reproduit un des panneaux.

Rembrandt, ce n’est pas forcément plus grand – à la suite de Rubens, il faut compter aussi sur ces grands « rubéniens » que furent Jordaens et surtout Van Dyck -, mais c’est autre chose. Avec ses clairs-obscurs hérités du Caravage, sa propension à prendre ses proches comme modèles comme sa capacité à exprimer, à «faire passer» dans la peinture son tempérament personnel, sa façon aussi – si l’on se souvient notamment du Boeuf écorché de 1655 - de réfléchir sur l’efficace de la peinture, Rembrandt peut nous apparaître comme un des pionniers de la modernité.

Plusieurs choses séparent Rubens de Vermeer. Le temps : un demi-siècle les sépare. L’espace : c’est dans la partie nordique des Pays-Bas, qui est celle de Vermeer, que se situera le changement de paradigme. L’objet de la représentation enfin et surtout : Vermeer, le primus inter pares, chef de la guilde des peintres, est l’un des initiateurs de la peinture de genre. Comment les peintres en sont-ils venus à passer de la grande peinture d’histoire à la comparativement plus modeste peinture de genre? Comme nous l’explique Thomas DaCosta Kaufmann, il y a à cela une raison socio-historique. L’époque encourageait les artistes à la spécialisation. Le mécénat institutionnel s’essoufflait. Les commanditaires des tableaux n’étaient plus forcément la Cour ou les grands, mais des bourgeois dont la classe était alors en plein essor et qui commandaient de plus en plus de portraits, «des collectionneurs et des clients de plus en plus attirés par la reproduction de leur environnement quotidien». C’est le miracle de Vermeer qu’une évolution sociologique semblable ait coïncidé avec un perfectionnement technique de l’art pictural comme avec l’émergence d’une nouvelle esthétique.

Des personnages représentés dans leur quotidien dans ce que celui-ci peut avoir parfois d’intime – comme si le spectateur, à la suite du peintre, regardait une scène à la dérobée -, des figures de bourgeois ou d’aristocrates saisies dans la fugacité de l’instant unique et semblable à aucun autre : voilà ce qui fait la fascination de l’art de Vermeer et de ses contemporains. Un changement de l’objet de la représentation ; une révolution du regard, ayant pour effet d’inviter le spectateur dans l’espace de la toile (d’où il était auparavant par définition exclu) en lui dessinant une place en filigrane ou en creux. A regarder les toiles de Vermeer – notamment Une jeune Femme assoupie dont l’intimité nous est livrée et, en même temps, dérobée précisément de par son sommeil -, on comprend qu’elles aient pu exercer une fascination durable jusqu’à l’époque contemporaine, tant auprès d’auteurs de fiction comme Tracy Chevalier (La jeune Fille à la perle) que de critiques d’art comme Tzvetan Todorov qui signa en 1993 un essai sur la peinture hollandaise du 17e siècle intitulé Eloge du quotidien.

Thomas Regnier
( Mis en ligne le 19/12/2002 )
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