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Beaux arts / Beaux livreset Arts graphiques  

3 rêveries
de Marc-Antoine Mathieu
Delcourt 2018 /  34.90 €- 228.6  ffr.
ISBN : 978-2-413-01060-9

Little nommé

On ouvre un peu la boîte comme un cadeau de Noël. Une fois le couvercle retiré, il faut encore soulever un léger film plastique pour trouver, côte à côte, un rouleau, une série de cartes et un leporello. Tous les trois portent en bandeau leur titre, Homo Faber, Homo Temporis ou Homo Logos.
Marc-Antoine Mathieu est un ogre. Déjà riche de son propre imaginaire et de ses livres-objets, il ne peut voir une contrainte sans avoir envie de jouer avec elle à son tour. Il avait donc déjà livré sa propre version des bandes dessinées en 3D ou des livres tête-bêche. Ici, on ne peut s'empêcher de penser à Building Stories, fameuse boîte de Chris Ware qui s'extrayait, lui aussi, du recueil classique de bande dessinée pour le transformer en matériel de narration en kit. Mais Mathieu n'a rien du plagiaire : ses idées sont toujours inédites et nous sommes une fois de plus surpris, sinon émerveillés. Aucune concession à la narration classique. Aucun mot, d'ailleurs, aucune date qui nous éloignerait de l'universel.

L'absence de mode d'emploi perturbe. Encore le journaliste bénéficie-t-il d'un communiqué de presse pour désigner comme thèmes « le temps, le faire, la pensée ». À défaut, nous commençons par le modèle le plus archaïque, Homo Logos, un rouleau que nous sommes obligés de lire comme nos ancêtres, en enroulant de la main gauche ce que nous déroulons de la main droite. C'est à une forme de naissance de l'univers que nous assistons, dans un lent panoramique qui assimile les étoiles, les signes et une conscience obscure. Puis il faut réenrouler, patiemment.
Homo Temporis nous fait suivre en accordéon le parcours de moyens de communication, de la préhistoire jusqu'au futur, en réutilisant les jeux sur les symboles et la lecture du livre S.E.N.S. Les changements de points de vue sont particulièrement limités, comme si nous avions l'œil collé à un télescope. Au fond, la mise en pratique de l'effet zoom est un incontournable des livres de Mathieu, souvent invisible, toujours très maîtrisée. La retrouver dans un rouleau, ou dans un leporello, fait partie de cette expérience de lecture inédite. Nous sommes en voyage.
Enfin, Homo Faber, derrière l'apparence d'un jeu de cartes, n'est pas non plus exempt de chronologie. Lues en succession les unes des autres, les cartes nous dévoilent un homme dont les doigts s'enracinent et forment un réseau protecteur. Le jeu une fois épuisé, le lecteur revient naturellement au début du paquet : dans ces trois curieux objets, nous approchons aussi du sentiment d'une bande dessinée infinie, celle que McCloud annonçait comme possible avec le numérique, et qui nous arrive paradoxalement sur du papier.

Ces trois rêveries sont, selon le mot de l'auteur, des poèmes graphiques. On y retrouve l'image de l'Histoire et d'un dormeur, une entité palpable mais singulièrement détachée de la création. Il est toujours question chez Mathieu, sinon de religion, du moins de mystique. À moins que ce ne soit simplement l'image d'un dessinateur, porté par son inconscient à produire du sens envers et contre tout.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 15/12/2018 )
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