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Architecture et liberté
de Giancarlo de Carlo
Editions du Linteau 2004 /  23 €- 150.65  ffr. / 313 pages
ISBN : 2-910342-27-1
FORMAT : 13x21 cm

L'auteur du compte rendu : Emmanuel Cros étudie l’architecture au Bauhaus de Weimar en Allemagne.

Giancarlo De Carlo : une trajectoire

«L’anarchisme est une limite vers laquelle on se dirige tout en sachant parfaitement qu’on ne l’atteindra jamais parce qu’elle se déplace alors même que l’on cherche à l’approcher.» (p.83) Pour Giancarlo De Carlo, compte moins l’objectif atteint que le chemin parcouru. Le sien est, toute sa vie, celui de l’architecture. «Comme les anarchistes, nous tendions vers une limite, sans savoir exactement ce qu’elle était, parce que nous la définissions au fur et à mesure, et jamais nous n’avons prétendu l’avoir atteinte.» (p.149) De la nécessité d’être exemplaire pour être exigeant, De Carlo en a fait sa ligne de conduite.

Dans ce livre qui paraît en traduction française aux Editions du Linteau (édition originale en 2000), Giancarlo De Carlo s’entretient avec Franco Bunčuga, un complice aux questions pertinentes et aux synthèses habiles. Ensemble, ils retracent la voie de l’architecte né en 1919, à travers l’Italie, depuis la période de la guerre — un véritable panorama de l’Italie, car de nombreux personnages de l’époque y sont cités — où De Carlo rencontre les milieux intellectuels et l’action dans la résistance, jusqu’à aujourd’hui où il continue de pratiquer son métier. De Carlo, le milanais de résidence, s’amuse : «Je vis à Milan depuis 1937 et dans cette ville, qui après tout est la mienne, on ne m’a jamais rien fait construire, pas même un chenil.» (p.98)

Il n’est pourtant pas un créateur isolé et ne resta jamais inconnu. Ces liens avec les milieux intellectuels italiens et étrangers, les anarchistes anglo-saxons notamment, n’ont jamais cassé. Dans les années 60, il fut un animateur passionné de Team X, groupe de jeunes architectes en dissidence des CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) qui «s’institutionnalisaient». Esprit fédérateur et grand initiateur, il fonde l’ILAUD en 1976, le Laboratoire International d’Architecture et d’Urbanisme. Lieu de confrontations et de débats, c’est aujourd’hui encore un rendez-vous annuel où étudiants et professionnels se retrouvent pour concevoir ensemble des projets et élaborer des réflexions sur la ville et les territoires hors de leurs écoles ou de leurs agences. Critique actif, il crée en 1978 la revue Spazio & Società. Pédagogue avant d’être enseignant, il n’a jamais cessé d’écrire dans de nombreux journaux, et ce n’est que tard dans sa vie qu’il devient professeur à Venise, par optimisme envers la jeunesse et non par doctrine pour son art. Domine alors le modèle postmoderne, qu’il n’aura de cesse de dénoncer comme un avatar de l’architecture moderne.

De Carlo a très tôt travaillé sur ce qu’il nomme les grands thèmes de l’architecture, comme le logement et l’université. Il réfléchit dès le début des années 60 sur le rôle et la place de l’université lorsqu’il entame son travail sur la petite ville d’Urbino, près de Rimini. Par la suite, en 1964, il établit le premier plan d’urbanisme pour Urbino; et le deuxième, entièrement refondé par lui, suit en 1994. Pendant plus de cinquante ans, il transforme cette ville par des réalisations successives. Il montre là une manière ambitieuse et subtile de réhabiliter les bâtiments anciens et plus largement la ville historique. Dans ses créations nouvelles, comme les résidences de l’université libre (1962-83), De Carlo réalise par l’implantation précise de ce grand complexe une “prise de site” d’une rare justesse, pleine de ressemblances avec la Cité universitaire de Tananarive à Madagascar, construite par l’architecte français Roland Simounet.

La longue présence De Carlo à Urbino rappelle d’autres architectes de cette même génération dont l’œuvre est profondément liée à une ville, tel Karl-Joseph Schattner à Eichstätt en Bavière ou Luigi Snozzi à Monte Carasso dans le Tessin.

Ses travaux polymorphes sont tous marqués par un processus d’où émerge la forme, où «l’objet équivaut à une vérification.» (pp.88-89) Ainsi ses œuvres les plus marquantes sont nées d’une élaboration patiente, dans des «projets par tentatives», par «approximations successives» (p.8), plusieurs avec la participation directe des habitants. «Pour parler valablement d’architecture, il n’est pas nécessaire d’être théoricien» (p.54), remarque De Carlo qui attribue à ces échanges une valeur fondamentale quand «la spécialisation a remplacé la culture» (p.295).

L’œuvre de Giancarlo De Carlo manifeste une cohérence étonnante, à travers les époques et les lieux. «Dans la vie d’un architecte les projets ne commencent jamais à partir de rien, et ne finissent jamais une fois pour toutes (…)» (p.267). Toutes les réalisations dont l’architecte s’entretient dans ce livre jalonnent un même chemin, celui d’un homme en recherche tout au long de sa vie qui, en même temps qu’il progresse, dispense un enseignement sur sa route.

Emmanuel Cros
( Mis en ligne le 20/12/2004 )
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