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Gisèle Freund, L'Oeil frontière - Paris 1933-1940
de Olivier Corpet , Catherine Thieck et Collectif
RMN Editions de l'IMEC 2011 /  50 €- 327.5  ffr. / 224 pages
ISBN : 978-2-7118-5924-5
FORMAT : 21,2cm x 26cm

L'auteur du compte rendu : Alexandra Person est diplômée en histoire de l'art (Master I,II Université Paris-IV la Sorbonne). Elle a plus particulièrement étudié l'art officiel et la propagande sous la colonisation française. Elle participe actuellement à la gestion d'une collection privée d'art moderne et contemporain.

L'oeil de Gisèle

Au terme d'un long processus administratif entamé dès la disparition de la photographe Gisèle Freund (1908-2000), l'IMEC (Institut Mémoire de l'édition contemporaine) a été officiellement désigné en mars dernier pour veiller à la destinée de cette œuvre tant littéraire que photographique. Ce fonds fait aujourd'hui l'objet d'une première exposition posthume en France, organisée par la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent à Paris et intitulée «Gisèle Freund – l’œil frontière, Paris 1933-1940», en référence à un projet éditorial de l'artiste resté inachevé. Le catalogue éponyme respecte rigoureusement le sujet de l'exposition en se limitant à la période décisive de 1933-1940, où fuyant l'Allemagne pour s'installer à Paris, Gisèle Freund embrasse la carrière de photographe pour réaliser son rêve : «faire une collection de portraits d'écrivains en couleurs».

En effet, par souci d'indépendance financière, dès son arrivée en France, elle décide non seulement de poursuivre sa thèse sur la photographie (''La photographie en France au dix-neuvième siècle, essai de sociologie et d'esthétique'', 1936), mais d'en faire son métier. Sa formation universitaire lui facilite un rapprochement avec le milieu intellectuel parisien, où elle fait la connaissance de Sylvia Beach et d'Adrienne Monnier, libraires et personnalités incontournables du monde littéraire de l'époque. Dès 1935, elle bénéficie de l'aide providentielle d'André Malraux dont elle fait le portrait pour la couverture de La Condition humaine, puis du comité de rédaction de la revue littéraire Mesures, pour qui elle réalise un ensemble de photographies regroupant, aux côtés de Sylvia Beach et d'Adrienne Monnier : Vladimir Nabokov, Henri Michaux, Michel Leiris ou encore Jean Paulhan.

Mais c'est l'usage novateur, voire révolutionnaire, de la photographie couleur, dès 1938, qui va révéler Gisèle Freund en tant qu'artiste. Il est regrettable qu'ici, faute de comparaisons, le catalogue ne situe pas vraiment l’œuvre dans le contexte artistique de la fin des années trente. Car selon la photographe : «il ne s'agit plus de voir en ombres et lumières, mais en tonalités». Avec cette nouvelle esthétique du portrait en couleur qui comporte certaines exigences, détaillées au catalogue, elle présente «ses victimes», autrement dit des penseurs, auteurs (Paul Valéry, Colette, Stefan Zweig, Jean Cocteau, Walter Benjamin... ) et artistes (Marcel Duchamp, André Breton), sous une apparence très réaliste, voire peu flatteuse ! Une audace qui lui vaudra tout de même un certain succès en 1939, puisqu'elle réalise la même année un reportage en couleur sur James Joyce et le portrait de Virginia Woolf.

Le catalogue exclusivement consacré à cette œuvre de jeunesse très fulgurante, se clôt sur l'imminence du conflit qui va contraindre Gisèle Freund à un nouvel exil. Mais «cette fois-ci», confiait-elle avec raison, «j'étais armée : je possédais un métier […] jusqu'alors je m'étais surtout exercée dans le portrait, mais pour connaître le continent américain, je n'avais qu'un seul moyen : devenir reporter photographe». Un autre pan de son œuvre photographique, développé en annexe, grâce à une biographie très instructive qui mêle intelligemment au récit de sa vie certains passages de ses nombreuses publications.

Alexandra Person
( Mis en ligne le 28/11/2011 )
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