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Beaux arts / Beaux livreset Photographie  

Regardez, il va peut-être se passer quelque chose...
de Alain Baczynsky
Textuel 2012 /  29.50 €- 193.23  ffr. / 240 pages
ISBN : 978-2-84597-436-4
FORMAT : 15,8 cm × 21,2 cm

Clément Chéroux (Préfacier)

Les 242 ego d’Alain Baczynsky

Habitiez-vous du côté du quartier Jussieu, à Paris, vers 1979 ? Si tel est le cas, peut-être aurez-vous croisé à diverses reprises, dans la station de métro, plus précisément aux alentours de la cabine de photomaton, un jeune homme fluet, souvent vêtu d’une parka, la vingtaine et la calvitie déjà bien entamées. Ce monsieur tout-le-monde, attendant pendant les trois minutes réglementaires le développement de sa bandelette d’autoportraits, c’était Alain Baczynsky, peu après être sorti d’une de ses énièmes séances d’analyse.

Mais quel intérêt y a-t-il à systématiquement immortaliser son reflet le plus banal juste après être allé se sonder les tréfonds auprès de son psy ? La démarche peut a priori sembler étrange, puis à la réflexion on en vient à comprendre sa logique, voire sa nécessité. Car Baczynsky ne s’est pas contenté de fixer l’objectif, il a plutôt voulu mettre son visage à l’appui de ce qu’il venait de dire, de divulguer et de ressentir auprès de son thérapeute. L’exercice est plus douloureux qu’il n’y paraît : en témoignent non seulement les expressions et mimiques affichées par l’artiste, mais également les commentaires, lapidaires ou plus fournis, qu’il griffonne au dos de chaque cliché, dans une graphie qui reste lisible malgré l’intense émotion qu’elle trahit.

Tout rejaillit là, en addendum condensé : les frustrations affectives et sexuelles, le rapport difficile avec la mère, les cris contenus, les tiraillements d’une identité qui se cherche (Baczynsky souffre d’une judéité problématique, contrariée par une belgitude qu’il rejette). Le résultat est stupéfiant et soumis à bien plus de variations que le penserait qui se contenterait de parcourir l’ouvrage à la va-vite. Baczynsky est parvenu à conserver une extrême pudeur dans cet exercice qui, de privé au départ, se fait exhibitionniste, s’exposant à Beaubourg puis faisant aujourd’hui l’objet d’une publication en livre. On assiste là à un effeuillage doublé d’un catalogage de l’ego via tout ce que peut en révéler un visage. Traits durcis ou relâchés, bouche pincée ou rieuse, regard pétillant ou éteint, Baczynsky aura décliné 242 fois son subconscient et aura mis des mots sur l’imposant silence qui se dégage de chacun de ses instantanés. Jusqu’à épuisement du stock, puisque finalement, ce seront ses mains, son torse, sa braguette, le fond de la cabine qu’il livrera à l’œil anonyme de la machine, comme pour signifier l’impasse dans laquelle il se sait engagé.

Nul n’ignore plus l’utilisation que firent les surréalistes de la technique photomaton, notamment en l’articulant avec l’écriture automatique. Plus tard, c’est le pop-art, le minimalisme et d’autres avant-gardes qui s’empareront de la guérite magique et en exploiteront toutes les potentialités ironiques ou esthétiques. Baczynsky sera pour sa part revenu aux fondamentaux du rapport de l’individu avec sa propre image. Il hisse ainsi son travail au rang des «nouvelles révélations de l’être», pour citer un autre solitaire au psychisme tourmenté, Antonin Artaud.

À regarder avec toute l’attention requise donc, car indéniablement, dans ces immobilités au cadre restreint, il se passe quelque chose…

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 11/07/2012 )
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