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Le terrain de jeu du diable
de Nan Goldin
Phaidon 2003 /  95 €- 622.25  ffr. / 503 pages
ISBN : 0-7148-9371-4
FORMAT : 24x31 cm

L'auteur du compte rendu: Marion Perceval a suivi les cours de premier et de deuxième cycles de l'Ecole du Louvre (option histoire de la photographie). Elle prépare actuellement un DEA d'histoire des techniques sur Alphonse Davanne, un chimiste-photographe qui tenta de vulgariser la pratique photo à la fin du XIXe siècle.

Instants colorés

La "mélancolie lumineuse", c'est sous ce terme que l'on pourrait définir ce volume rassemblant les photographies récentes (1997-2002) de Nan Goldin, qui vient de paraître chez Phaidon. Présentées par thèmes, choisies par l'artiste elle-même, les images retracent cinq années de sa vie tumultueuse, ponctuées de textes, chansons et poèmes souvent écrits pour cet ouvrage, de Nick Cave, Leonard Cohen, Cookie Mueller…

Témoin et actrice d'un milieu interlope, «underground», de la nuit de Boston, puis de New- York dans les années 80, elle s'est fait connaître par des images crues, utilisant une esthétique brute voire choquante (pour certaines personnes) et sans fard. Elle s'est imposée en photographiant déjà ses amis, mettant en scène son corps, les stigmates du temps, ou la déchéance de la maladie.

Comme elle le dit elle-même dans une interview, photographier permet aux êtres chers de ne pas disparaître : photographier pour ne pas perdre, ne pas oublier. La démarche est loin d'être originale, elle est commune à tous les amateurs mais Nan Goldin l'a érigée en principe.
Le choix de mise en page n'est pas non plus anodin. Les photographies présentées à bord perdu permettent au spectateur d'être intégré au processus de création, Nan Goldin nous fait ressentir, au plus près, sa vie et ses obsessions.

L'intime, la sexualité, la maternité, plus généralement la vie sont toujours les racines de sa création puisque chez elle tout est intrinsèquement lié. Elle joue avec l'image et ceux qui la regarde, en leur proposant aussi bien des scènes proches du théâtre, dans lesquelles chaque objet a été choisi, où la prise de vue est frontale, qu'une véritable ,"captation du réel" grâce à l'instantané. Ces images sont cependant celles d'une femme qui paraît apaisée, plus tendre aussi. La lumière y est plus «dorée», moins crue que celle que l'on trouvait dans les images des années précédentes.

Cette lumière tient de plus en plus de place dans son oeuvre, ce n'est plus une simple écriture de la lumière, elle devient partie prenante, quasiment véritable personnage, elle est omniprésente. Serait-ce elle, ce terrain de jeu du diable ? Pourtant Nan Goldin se joue des reflets, du crépuscule, de l'aurore, elle la maîtrise mieux que jamais, nous offrant de sublimes paysages, des portraits, des scènes d'amour, se déferrant parfois implicitement (jusque dans ses titres) au Caravage, le sulfureux peintre des contrastes.

Dans cet album de famille, le corps devient la matière première d'une oeuvre. Si toutes ces personnes sont nommées (dans le titre), elles nous touchent mais la photographie permet malgré tout de mettre une distance, elle désincarne.

Le terrain de jeu du diable, c'est surtout la vie, semble nous dire l'artiste. Ses rencontres (celles qu'elle fait), ses hasards, ses accidents, sa relation à l'autre (essentielle pour exister) ont toujours été ses thèmes de prédilection, qu'elle aborde ici, plaçant le spectateur dans la position de voyeur qui peut déranger (qui doit déranger?). Elle y arrive encore une fois dans cet ouvrage mais avec une finesse extrême, nous offrant sa vie (loin d'être rose) en forme d'espoir.

Marion Perceval
( Mis en ligne le 14/11/2003 )
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