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Sophie Calle, l'art caméléon
de Anne Sauvageot
PUF - Perspectives critiques 2007 /  21 €- 137.55  ffr. / 300 pages
ISBN : 978-2-13-055998-6
FORMAT : 13.5x20 cm

L’auteur de du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française, diplômé de l’Université de Nottingham Trent (PhD). Professeur de Lettres Modernes, il est aussi membre du Groupe «Autofiction» ITEM (CNRS-ENS) et cofondateur du site Hervé Guibert (http://herveguibert.net/).

Sophie Calle décryptée

Sophie Calle navigue dans l’art contemporain comme pourrait le faire un objet artistique non identifié. Se situant entre «roman-photo, journal intime, filature, confession, road movie, autofiction», elle fait de sa vie et de la vie de ceux qu’elle décide d’embarquer dans son aventure créatrice un art qui, selon Anne Sauvageot, auteur du présent essai, «emprunte au caméléon quelques-uns de ses talents». Objet artistique non identifié donc, qui à l’image du caméléon possède une capacité de mimétisme et de camouflage mais plus encore une propension «à emprunter à son milieu […] ses formes, ses outils, ses artefacts, ses facéties, ses excès, ses interrogations, ses angoisses, etc.»

Pour aborder le travail protéiforme de Sophie Calle, Anne Sauvageot fait le choix judicieux, dans la première partie de son étude tout au moins, de l’abécédaire. Cette méthode, qui correspond au goût de l’artiste pour les listes, rend possible une approche des multiples motifs et leitmotive qui hantent son travail. Le lecteur se familiarise ainsi avec certains mots-clés, certains thèmes. Et cela est d’autant plus intéressant qu’un réseau se crée. C’est le cas, par exemple, de l’entrée «C comme Chambre» où il est question de son film No sex last night et d’une de ses «premières actions parisiennes – Les dormeurs –» performance «au cours de laquelle vingt-huit individus, connus et inconnus, acceptèrent de se succéder dans son lit». Cette entrée renvoie au «H comme Hôtel» qui évoque L’hôtel, livre V de Doubles-jeux, texte dans lequel Sophie Calle raconte son expérience en tant que femme de chambre dans un hôtel vénitien, expérience au cours de laquelle elle photographia le contenu des bagages et dressa l’inventaire des clients afin d’inventer «des vies à ces gens sur la base des indices dont elle disposait».

La lettre I permet à l’auteur de se pencher sur les inconnus qui habitent littéralement les œuvres de Sophie Calle, «ceux qu’elle suit dans les rues […] ceux qu’elle invite à dormir dans son lit […] de même que celui dont elle trouve le carnet d’adresses dans la rue.» Ces inconnus, suivis ou qui suivent, sont à l’origine d’une ambiance policière (voir «X comme X., détective privé») qui rappelle les livres de Paul Auster, très importants dans la démarche de l’artiste. Mais les intrigues ainsi créées instaurent aussi un espace ludique que la lettre «J comme Je(u)» vient développer.

L’intérêt de cette première partie est de permettre une immersion dans l’œuvre de Sophie Calle, d’en montrer la cohérence, les échos, les récurrences, d’en révéler en fait le sens profond en mettant en relief que «derrière les frivolités se cachent les tribulations d’un travail sur soi, sur l’autre, sur nous, sur la condition humaine, sur sa faillite et son recyclage.»

La deuxième partie de l’essai, elle-même composée de deux chapitres intitulés respectivement «Une jeune fille de son temps» et «Les malheurs et bonheurs de Sophie Calle», emprunte des voies plus conventionnelles – celle de l’étude universitaire – pour poursuivre l’analyse du travail de Sophie Calle. L’auteur revient sur l’idée de l’œuvre comme réseau en abordant le caractère hypertextuel du travail de l’artiste qui se construit «par entrelacements de liens au sein d’un espace sémantique où l’essentiel ne réside pas seulement dans ce qui est dit ou photographié mais dans le passage d’un univers de significations à un autre». Est ensuite évoquée la prégnance de la culture médiatique dans les œuvres de Sophie Calle qui fait de certaines d’entre-elles des «réalités shows» dans la mesure où elles mettent en leur centre la recherche de l’authentique et l’exposition de soi. La question de l’individualisme est aussi abordée à travers la notion d’intersubjectivité ou encore la thématique de l’identité, des identités plus précisément, puisque l’artiste joue constamment sur les multiplicités de soi.

Enfin, Anne Sauvageot s’intéresse plus généralement au parcours de Sophie Calle, à ses errances, à son héritage culturel et familial. Ses amis et proches (Hervé Guibert, Paul Auster, Jean Braudillard) sont de même évoqués à travers une analyse des dédicaces et des remerciements présents dans les différents travaux de l’artiste. Les dernières pages sont consacrées à la place de l’artiste au sein de l’art contemporain ainsi qu’à sa légitimité. Là encore, Sophie Calle réalise une prouesse puisqu’elle a su s’imposer tout autant au sein du «légitimisme institutionnel» (galeries, musées…) que dans le «légitimisme social». C’est parce que ses œuvres n’ont pas «l’aridité qu’entretient le plus souvent l’art conceptuel» qu’elle a su gagner un véritable public.

Anne Sauvageot réussit donc dans son essai à décrypter «l’art caméléon» de Sophie Calle. C’est parce qu’au-delà du simple travail de l’artiste, elle a su, de son regard de sociologue, interroger «la question des frontières incertaines et mouvantes de la ‘médiaculture’».

Arnaud Genon
( Mis en ligne le 23/05/2007 )
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