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Feminine Futures - Valentine de Saint-Point - Performance, danse, guerre, politique et érotisme
de Adrien Sina et Collectif
Les Presses du Réel 2011 /  48 €- 314.4  ffr. / 511 pages
ISBN : 978-2-84066-351-5
FORMAT : 23,5cm x 30cm

L'auteur du compte rendu : Alexandra Person est diplômée en histoire de l'art (Master I,II Université Paris-IV la Sorbonne). Elle a plus particulièrement étudié l'art officiel et la propagande sous la colonisation française. Elle participe actuellement à la gestion d'une collection privée d'art moderne et contemporain.

Danse et modernité

Les éditions des Presses du réel, adeptes de l'avant-garde moderne et contemporaine, consacrent une imposante publication à l'exposition «Feminine Futures : Valentine de Saint-Point, performance, danse, guerre, politique et érotisme», organisée à l'Italian Cultural Institute de New York en 2009. Sous la direction d'Adrien Sina, architecte / artiste, théoricien et commissaire de l'exposition, cet ouvrage éponyme rend hommage à l’œuvre révolutionnaire de Valentine de Saint-Point (1875-1953), première femme à la direction du Futurisme, auteure du Manifeste de la femme Futuriste en 1912 et pionnière dans l'action éphémère du corps comme œuvre d'art.

Grâce à un choix éditorial qui vise selon l'auteur à «limiter la réécriture de ce qui était déjà connu des artistes à travers les publications contemporaines», l’ouvrage renouvelle radicalement notre vision de la période moderne dans le champ de la danse et de la performance. Fidèle à ce dessein, ce catalogue rassemble plus de 2 500 illustrations, dont une multitude de textes, manifestes, poèmes, lettres et photographies, en grande partie inédits, qui permettent de renouer avec la quintessence des idées avant-gardistes sur la danse et le principe du corps en tant qu'œuvre. Fort de cette «constellation documentaire», Adrien Sina, avec son équipe, soutient une analyse plutôt iconoclaste fustigeant, notamment, l'apport des cubistes face à la contribution essentielle du futurisme omise par l'histoire de l'art.

L'auteur propose une nouvelle généalogie passionnante de la danse et de la performance au début du XXe siècle, en approfondissant le cas particulier de la «Métachorie» inventée par Valentine de Saint-Point en 1913. Dans la conférence du 9 décembre 1913, intégralement reproduite, Valentine de Saint-Point postule que la danse doit être rénovée et suivre l'évolution des autres arts qui ont emprunté la voie de l'abstraction. Par conséquent, la danse doit cesser d'être narrative pour devenir l'incarnation d'un concept. Compagne de Ricciotto Canudo (1877-1923), auteur du Manifeste de l'art cérébriste publié en 1914 et également reproduit dans cet ouvrage, elle a participé à ses côtés à cette théorisation révolutionnaire et déterminante de l'art jusqu'à nos jours, qui privilégie la réflexion sur l'émotion dans le processus créatif.

Or, déclarait-t-elle en 1913, dans son Manifeste Futuriste de la Luxure : «La création spirituelle dépend de la création charnelle […] Nous avons un corps et un esprit. Restreindre l'un pour multiplier l'autre est une preuve de faiblesse et d'erreur». D'après Valentine de Saint-Point, l’œuvre d'art totale serait donc une création cérébrale qui inclurait les mouvements du corps, en l'occurrence établis selon des règles géométriques précises. L'auteur rappelle que cette appellation spécifique de «Métachorie» qui signifie «au-delà du chœur» en référence au coryphée grec, fait directement allusion à cette idée que l'aura invisible du corps peut être accessible à l'esprit. En faisant intervenir la musique, la lumière et la poésie dans ces fameuses «Métachories» qu'elle organisa à Paris en 1913 et à New York en 1917, elle communique au spectateur une énergie vivace et incarnée conçue comme une œuvre d'art éphémère. Pour Giovanni Dotoli, c'est «tout le ballet moderne qui en dérive, jusqu'aux formes les plus avancées du happening».

À la lumière de cet art précurseur, une vaste galerie de portraits richement illustrés retrace l'histoire de l'avant-garde féminine de la danse jusqu'à la fin des années trente. Citons parmi elles, les figures mythiques de Loïe Fuller (1862-1928), Isadora Duncan (1877-1927), Mary Wigman (1886-1973), Martha Graham (1894-1991) ou encore Gret Palucca (1902-1993). Par ce biais, l'ouvrage réaffirme non seulement le rôle fondamental des artistes femmes dans la revendication du corps comme matériau, mais également l'extrême diversité des propositions. Au demeurant, Adrien Sina considère que cette pluralité trouve son origine dans des préoccupations communes de nature «intimes et éthiques» que sont pour lui «la psychologie du désir» et le besoin de la «reconstruction d'une mythologie féminine» face à la violence et à la guerre. D'ailleurs, le catalogue se clôt judicieusement sur des photographies témoignant du tournant pris par l'art dans les années soixante-dix, avec l'apparition d'une forme paroxystique de la performance où des femmes artistes, telles que Gina Pane (1939-1990) ou Marina Abramovic (née en 1946), engagent leur propre corps dans une souffrance physique qui vise à mieux dénoncer la barbarie de l'humanité.

Irréprochable sur le fond, cet ouvrage, qui ouvre des brèches nécessaires dans l'histoire de l'art, est à l'image de son sujet : révolutionnaire et subversif. Reste qu'une iconographie trop excessive encombre parfois cette redoutable réflexion. Il faut dire que le travail mené par Adrien Sina et ses collaborateurs pour l'exposition a fait date, puisqu'à la suite de «Feminine Futures» d'autres expositions telles que «Danser sa vie» actuellement visible au Centre Pompidou, ont vu le jour, en intégrant soit des œuvres soit des propos réunis dans cet ouvrage indispensable.

Alexandra Person
( Mis en ligne le 21/03/2012 )
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