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La Cuisine des pharaons
de Pierre Tallet
Actes Sud - L'Orient gourmand 2003 /  23 €- 150.65  ffr. / 123 pages
ISBN : 13/11/2003
FORMAT : 18x29 cm

Cuisinons comme les pharaons !

L’incontournable Histoire de l’alimentation (Fayard, 1996), dirigée par le regretté Jean-Louis Flandrin, débutait sur un chapitre consacré aux premières civilisations. Il faut dire cependant que ce secteur de l’historiographie, partie prenante de l’histoire de la vie privée, certes passionnant, est hélas souvent pauvre, la faute à des sources lacunaires, partielles voire absentes et à des généralisations souvent grossières.
Prenant acte de ces biais méthodologiques et de cette lacune dans la production historienne, Pierre Tallet, égyptologue, propose, avec La Cuisine des pharaons, un bel ouvrage à la fois informé et ludique.

Les sources concernant l’alimentation dans l’Egypte antique sont pauvres. L’art funéraire, retraçant la vie quotidienne de cette antiquité orientale, les résume. On n’y trouvera pas à proprement parler des recettes de cuisine mais des informations sur les pratiques alimentaires. Les peintures funéraires figurent ainsi les menus des morts chez qui était pratiquée l’ouverture de la bouche pour leur redonner l’usage de leurs sens et leur permettre de manger et de boire.
Ces informations sont cependant généralement parcellaires, le plus souvent réduites à ce qui constituait la base de l’alimentation nilotique : la bière - heneket - et le pain. Certains monuments échappent néanmoins à cette règle minimaliste : des maquettes en bois ou en céramique représentent des offrandes plus élaborées. A ces informations s’ajoutent la conservation de restes archéologiques de ces offrandes, analysables et plutôt bien conservés grâce à l’aridité du climat, quelques listes d’ingrédients dont disposaient les égyptiens et quelques textes (dont le De re coquinaria d’Apicius) : l’historien, analyste et archéologue, y ajoute une imagination corsetée par les exigences de la vraisemblance et les comparaisons avec quelques recettes traditionnelles de l’Egypte contemporaine… Mais, comme le souligne l’auteur, «l’ensemble des sources à notre disposition nous fait pressentir la richesse et la variété de la cuisine égyptienne, sans cependant nous permettre d’appréhender cet art culinaire dans ses moindres détails.» (p.63)

L’ouvrage, après ce détour méthodologique et archéologique, se divise en plusieurs chapitres thématiques : pains et gâteaux, viandes, poissons, fruits et légumes, condiments, boissons… On y apprend ainsi que les pâtisseries, souvent thérapeutiques, étaient très sucrées, à base de dattes, de miel ou de raisins secs. Chose rare, une tombe (celle du vizir de Rekhmirê, sous le règne d’Amenhotep II), développe les étapes de la fabrication d’un gâteau - shayt -, conique, fait à partir des rhizomes d’un roseau au goût de noisette, le souchet. La viande et le poisson étaient le plus souvent grillés ou conservés dans des saumures, séchés voire confits. Le poisson le plus prisé était le mulet, ou muge, poisson de mer remontant le Nil et dont les œufs servaient à faire la poutargue, recette encore pratiquée sur le pourtour méditerranéen aujourd’hui. Les fruits, plutôt rares, sont réservés aux élites, tout comme certaines viandes : l’Egypte ne connaît les agrumes qu’à l’époque romaine ; les principaux fruits consommés sont la datte (utilisée dans la confection d’une bière de luxe, le seremet), le raisin, la grenade, les pastèques et melons, mais aussi la caroube, le sycomore (sorte de figue rouge) et le perséa aujourd’hui disparu. Ail et oignon sont les légumes les plus cuisinés, sans oublier les fèves, pois chiches (utilisés pour le Houmos) et lentilles, et les plantes aquatiques (lotus et papyrus). Huile d’olive et vin sont d’abord largement importés des régions syro-palestiniennes connaissant un véritable climat méditerranéen.

Chaque chapitre se termine sur la proposition de recettes inspirées des découvertes faites. De quoi confectionner soi-même un repas égyptien dans les règles de l’art ! Ce côté ludique ne doit pas occulter le propos scientifique du livre ; une bibliographie complète est proposée en fin d’ouvrage ainsi qu’une esquisse succincte des quatre mille ans d’histoire égyptienne. On comprend alors que cette histoire alimentaire n’est qu’embryonnaire et ne peut résumer quatre millénaires d’une gastronomie ayant évidemment connu une évolution et des déclinaisons sociales et régionales. Tel est le principal écueil de ce type d’investigation. Il faut en prendre acte sans bouder son plaisir : La Cuisine des pharaons offre à la fois le plaisir du dépaysement et celui d’incarner dans un peu de bonne chair une civilisation bien lointaine.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 07/01/2004 )
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