L'actualité du livre
Art de vivreet Gastronomie & Vin  

La Cuisine - C’est de l’amour, de l’art, de la technique
de Hervé This et Pierre Gagnaire
Odile Jacob 2006 /  23.90 €- 156.55  ffr. / 309 pages
ISBN : 2-7381-1678-7
FORMAT : 18,5x23 cm

L'auteur du compte rendu : Antoine Bioy est docteur en psychologie et psychologue clinicien. Il vient de co-signer Souvenirs d'anorexie (éditions K&B, mai 2006).

Au risque de l’indigestion créative

Hervé This est chimiste à l’INRA, au laboratoire des interactions moléculaires du Collège de France et à l’Institut national agronomique Paris-Grignon. Pierre Gagnaire est l’un des «toqués» parmi les plus connus en France, avec une cuisine moderne, créative et instinctive. Surnommé «le grand» (et pas seulement pour sa taille), il prône une cuisine française vivace, audacieuse et sachant s’ouvrir à toutes les influences.

Le propos de l’ouvrage part d’une simple question : comment juger ce que l’on nous sert ? S’établit alors un parallèle avec la notion d’art et le thème du «beau» et les auteurs se proposent d’illustrer la question de façon fort singulière. Dans un premier temps, Hervé This lance des défis à son ami cuisinier : une recette qui joue avec les nombres, un plat où il faut découvrir quelque chose de caché, un accord surprenant avec deux produits seulement, la création d’un plat abstrait, etc. Par la suite, Pierre Gagnaire y apporte une réponse culinaire. Puis, le lecteur est invité à se mettre aux fourneaux et à répondre également à la question posée. Enfin, l’ouvrage est ponctué d’extraits d’une discussion entre amis autour d’une table, à la sortie d’un musée, au bistrot, et autres lieux, où le propos du livre (la cuisine et l’art) est débattu sur un plan philosophique et esthétique principalement.

Le tout est à première vue alléchant, et le thème du livre met immédiatement en mémoire l’histoire de la cuisine et de ses chefs, de la «bible» Auguste Escoffier au «familial» Françoise Bernard, du classicisme sûr d’un Joël Robuchon à la folie aux relents post-modernes d’un Ferrán Adriá. Pierre Gagnaire se charge quant à lui de nous faire savourer une multitude d’idées créatives et de recettes dont cet ouvrage est parsemé. Malheureusement, la construction novatrice de La Cuisine… s’avère trop lourde à digérer : l’esprit s’aiguise à la lecture des défis lancés, les papilles s’excitent à la lecture des réponses avancées, puis le tout retombe comme un soufflé à la cuisson mal contrôlée lorsque s’amorcent les discussions lourdes et académiques du groupe d’amis à la fin des chapitres. Elles donnent tout simplement envie de sauter le dessert pour aller directement à l’entrée du chapitre suivant sans lire les dialogues, voulus enlevés et joyeux, des convives. Les propos sont certes souvent pertinents, mais la mayonnaise ne prend pas, le liant ne se fait pas, du fait d’une trop grande disparité dans le ton et l’organisation de l’ouvrage aux parties simplement juxtaposées. Ce que réussit Pierre Gagnaire dans les assiettes ne s’applique pas à l’ouvrage et la lecture laisse une petite pointe d’amertume.

En concluant l’ouvrage, on se surprend à se demander si tout n’avait pas été dit par Gagnaire dans son introduction : la clef de la question posée des rapports entre cuisine et art ne se situerait-elle pas simplement dans la notion d’envie ? Si sa cuisine est tout simplement jubilatoire, et que l’on retrouve ici couchée sur le papier toute sa quintessence, on regrette finalement qu’elle soit un tantinet gâchée par le brouhaha de la salle…

Antoine Bioy
( Mis en ligne le 07/06/2006 )
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