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Dictionnaire de l'amour et du plaisir au Japon
de Agnès Giard
Drugstore 2008 /  35 €- 229.25  ffr. / 353 pages
ISBN : 978-2-356-26087-1
FORMAT : 19cm x 24,5cm

L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, chez L’Harmattan, de Individualité et subjectivité chez Nietzsche (2004).

Le corps japonais

C’est un livre élégant que nous propose Agnès Giard. Élégant par le style, magnifique par la facture et l’iconographie. Un beau petit cabinet de curiosités. L’auteur, journaliste à Libération, y livre sa passion pour le Japon, ou, plus précisément, pour la libido japonaise, ce qui la suscite, ce qu’elle évoque.

Dans l’économie globalisée, si la Thaïlande fournit les prostituées, le Japon apporte un éventail de lubies, de gadgets et de représentations qui interpellent (et parfois conquièrent) l’Occident, du fétichisme de la petite culotte aux mangas érotiques.

Loin de se borner à étaler sans réflexion ces étrangetés, Agnès Giard, telle la carpe-spermatozoïde chère aux habitants de l’Empire du Soleil Levant, remonte aussi le courant historique de leur genèse. En se nourrissant de lectures parfois érudites, elle va fouiller dans l’imaginaire des samouraïs, et même dans le rapport à la terre, aux montagnes, aux rochers. Il est vrai que l’on ne pense pas toujours, par exemple, à la conception du désir qu’induit la vie sur un sol tellurique capable de tout anéantir à n’importe quel moment.

Le voyage savant, richement illustré, auquel nous invite la journaliste, est des plus agréables. L’ouvrage se lit dans l’ordre qu’on souhaite, éventuellement même en commençant par le milieu, comme le conseillait Deleuze pour tout livre. C’est un bel hommage à la sensibilité de ce pays toujours mal compris en Europe, une approche «compréhensive» qui nous vaccine contre une vision «prussienne» (militariste, productiviste, disciplinaire) du Japon, en même temps qu’un acte de résistance contre l’uniformisation culturelle.

Car, plus d’une fois dans les pages d’Agnès Giard on perçoit comme un soupir, un frisson d’inquiétude : la crainte de voir l’occidentalisation de l’archipel extirper définitivement certains de ses particularismes. Ainsi par exemple à l’article «nudité» : «Les mangas pornographiques se remplissent de corps intégralement nus. C’est bien le signe que le Japon adopte les tabous judéo-chrétiens. Mais tout espoir n’est pas perdu». On croirait entendre Pascal Quignard pleurer sur la fin du libertinage de la Rome julio-claudienne. L’anthropologue hésitera à suivre Agnès Girard au bout de cette opinion, et fera peut-être remarquer que la nudité des organes génitaux n’a jamais été si an-érotique qu’elle le suggère, ni au Japon, ni ailleurs.

Mais peu importe : on souscrit au refus de l’uniformisation des mœurs. Et l’on voudrait suivre Agnès Giard-la carpe plus loin encore. Interroger plus avant les sources taoïstes, c’est-à-dire, osons le mot, chinoises, de nombre de ces curiosités nippones. Car sur bien des thèmes d’Agnès Giard, la représentation du corps, le rocher, la semence, on retrouve les interrogations de spécialistes de la Chine ancienne, comme François Jullien ou Robert Van Gulik. Van Gulik justement, dans La Vie sexuelle dans la Chine ancienne (récemment réédité par Gallimard), voyait dans le Japon une sorte de conservatoire de ce qu’une pudibonderie chinoise post-médiévale sous influence étrangère avait fini par éradiquer sur son propre sol (un peu, serait-on tenté d’ajouter, comme le Sri Lanka fut le conservatoire du bouddhisme quand il disparut de sa terre natale indienne, ou l’Irlande conserva le catholicisme romain quand l’Europe de l’Ouest devint arienne… toujours une affaire d’îles…). On aimerait évaluer où se situe l’héritage, et où cela diverge.

Les images et le propos d’Agnès Giard ont une fonction apéritive pour ce genre de recherche. Mais ils séduisent aussi pour eux-mêmes. L’évocation des mythes nippons est parsemée de chefs d’œuvres artistiques des deux derniers siècles. A voir et revoir, lire et relire. Des sources d’étonnement se découvrent à chaque page.

Christophe Colera
( Mis en ligne le 26/01/2009 )
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