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Entretien avec Jean-Baptiste Baronian - Dictionnaire de la gastronomie & de la cuisine belges, Le Rouergue, Octobre 2019



Jean-Baptiste Baronian, Dictionnaire de la gastronomie & de la cuisine belges, Le Rouergue, Octobre 2019, 320 pages, 28 €.

Mange, c’est du belge !

Aux antipodes des écrivains étiques et frêles, des anorexiques par complaisance, des soucieux de la diététique qui cultivent le mépris du gros et de l’obèse (individus jugés forcément vulgaires et américanisés au premier degré), des maudits adoptant la posture de la gringalitude et une morale du parcimonieux, du picorement, pour mieux apitoyer sur leur sort ou susciter l’admiration de la ménagère qui n’arrive pas à perdre 500 grammes malgré ses séances Weight Watchers ; à l’opposé de ces faméliques dont l’âme n’a que très peu de place où circuler entre la peau et les os, il y a Jean-Baptiste Baronian. Un boulimique assumé de lecture et d’écriture, de bonne chair, de Simenon et de «fantastiqueurs», de Rimbaud et de Larbaud, de plaisir et de partage, de nourriture du monde et du terroir, bref, de vie.

Quand il s’éprend d’un sujet, Baronian en sort non pas un essai, mais un dictionnaire, rien moins. L’homme est une carrure de l’édition (Marabout, c’est lui), une armoire à glace en matière de connaissances littéraire, un «castard» dont les artères charrie un sang nourri au papier d’Arménie et à la zwanze bruxelloise. Alors, quand sort son Dictionnaire de la gastronomie & de la cuisine belges, foin de Coronavirus et de gestes barrières, on s’attable à son côté et on met bas les masques pour renifler et goûter les mets et les breuvages qu’il enchaîne. Il n’y avait qu’un Belge, «non peut-être ?», pour parler si bien, dans des notices qui sont toutes des pépites stylistiques, au peuple de France du fromage odoriférant de Herve, des couilles de Suisse, du bloempanch, des carabitjes, du kuddelflek, du potjevlees, du rombosse, du mitcho ; pour courir les gueuzes et traquer les trappistes ; pour contredire enfin les jugements de l’infect Baudelaire, qui ne pestait sans doute autant contre la cuisine de son pays d’accueil que parce qu’il était trop désargenté pour se la payer.

Tout comme l’Histoire selon Céline, Baronian ne repasse pas les plats : à chaque page donc, une nouvelle découverte papillaire, une explosion de saveurs, une symphonie pour des yeux toujours plus gros que le ventre. Ce sont des agapes sans fin (magie de l’alphabet, voilà le premier mot à être traité), une mise à feu des triglycérides digne de Cap Canaveral, une sarabande de préparations aux noms tous plus flamands et wallons les uns que les autres. Pour Parutions.com, Jean-Baptiste Baronian se met à table. Attention, risque d’extase (g)astronomique.

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Parutions.com : Ce Dictionnaire n’est-il pas le premier de son genre à paraître en France ?

Jean-Baptiste Baronian : Oui, il est le premier de son genre, que ce soit en France ou ailleurs. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des ouvrages publiés sur la cuisine en Belgique ne recensent que des recettes, et presque aucun d’entre eux ne pose la question de savoir quelle est l’origine exacte de tel ou tel plat ou de telle ou telle spécialité, ni ne se demande dans quelles circonstances telle ou telle spécialité a vu le jour. En écrivant mon livre, j’ai essayé de répondre à ces manquements.

Parutions.com : Quelle méthode avez-vous suivie pour élaborer cette somme ? Comment avez-vous travaillé ?

Jean-Baptiste Baronian : Aucune méthode particulière, si ce n’est le souci de vérifier en profondeur chacune des informations recueillies et chacune des sources, du moins lorsqu’il était possible de remonter jusqu’à elles. Au fil des années, j’ai amassé une très vaste documentation sur le sujet et sur des sujets connexes. J’ai aussi beaucoup travaillé sur le terrain… Je veux dire par là que j’ai goûté des spécialités aux quatre coins du pays et souvent interrogé de vive voix les personnes qui les avaient réalisées – agriculteurs, chefs, bouchers, charcutiers, pâtissiers, brasseurs, producteurs… Au fond, mon Dictionnaire représente six bonnes décennies d’expériences gustatives, de choses goûtées. Tout a commencé, je crois, grâce à ma mère. J’avais une douzaine d’années à peine quand elle m’a fait découvrir les maatjes au Bon Marché, à Bruxelles. Je sais, les maatjes sont des poissons de la Hollande, mais ils sont à la naissance de mon itinéraire gourmand.

Parutions.com : Vous parlez d’emblée de gastronomie belge, mais la Belgique, n’est-ce pas l’assemblage de deux cultures, la flamande et la wallonne ? N’aurait-il donc pas fallu faire deux dictionnaires, bien distincts, pour évoquer les spécificités de l’une et l’autre ? Ou alors, la gastronomie serait le premier ciment de la Belgique, avant même la Monarchie et l’équipe de foot des Diables rouges ?

Jean-Baptiste Baronian : On pourrait imaginer un dictionnaire pour chacune des neuf provinces de la Belgique, et même un autre pour Bruxelles et un autre encore pour Liège, sauf que les grandes spécialités belges sont consommées dans tout le Royaume. Il ne faut aller à la côte pour manger des croquettes aux crevettes ni au fin fond de l’Ardenne pour savourer le jambon d’Ardenne. Il y a six bières trappistes en Belgique et, parité nationale miraculeuse, trois sont en Wallonie et trois en Flandre. Eh bien, on les consomme partout. La cuisine belge est transversale. Elle est peut-être, effectivement, le premier ciment du pays. La preuve qu’une civilisation, où que ce soit à travers le monde, passe par les cinq sens et, forcément, par le goût. C’est ce que Brillat-Savarin a compris dès le début du XIXe siècle.

Parutions.com : Et par rapport à la France, qu’est-ce qui distingue radicalement nos habitudes alimentaires, nos us et coutumes, nos goûts, alors que nous sommes limitrophes ?

Jean-Baptiste Baronian : C’est essentiellement par ses modes spécifiques de préparation et de cuisson que la cuisine belge se distingue de la cuisine française traditionnelle et des cuisines d’autres pays. La mayonnaise y est, par exemple, très présente, y compris en surnombre et à profusion sur les rayonnages des grandes surfaces. Deux des principales spécialités belges sont ainsi à base de mayonnaise : la tomate aux crevettes et l’œuf à la russe, c’est-à-dire un œuf dur qu’on a coupé en deux, accompagné de petits pois et de dés de carottes qu’on a fait cuire à l’eau bouillante puis qu’on a fait refroidir. De même, en Belgique, les frites sont cuisinées avec de la graisse de bœuf, alors qu’en France, on utilise plutôt l’huile d’arachide et l’huile d’olive. Et dans toute une série de plats mijotés, on préfère la bière au vin, notamment la gueuze. D’une manière générale, la cuisine belge est plus roborative que la cuisine française. Le Belge a toujours une machine à calculer dans un coin de sa cervelle (j’emploie ce mot à dessein) : quand il va au restaurant, il souhaite que l’assiette qu’on lui sert soit bien garnie. Son discours est l’enfance de la méthode utilitariste : «Je paie, donc j’en veux pour mon argent.»

Parutions.com : Avez-vous d’illustres prédécesseurs qui se sont intéressés à la cuisine de nos régions et se sont attelés à une entreprise telle que celle-ci ? Vous êtes-vous inspiré de leur travail ?

Jean-Baptiste Baronian : Le seul qui se soit intéressé à la cuisine de nos régions est Gaston Clément. On lui doit un maître-livre paru en 1957 : Gastronomie et folklore de chez nous. Un hymne vibrant à la Belgique culinaire que je connais presque par cœur et que j’évoque à plusieurs reprises dans mon Dictionnaire.

Parutions.com : Et donc, vous avez goûté tous les mets, les sauces, les desserts et les alcools que vous évoquez ?

Jean-Baptiste Baronian : Non, pas tous, mais l’immense majorité d’entre eux, puisque, comme je te l’ai déjà dit, mes expériences gourmandes s’étalent sur plusieurs décennies. Chaque fois que je me rends quelque part en Belgique, que ce soit en Flandre ou en Wallonie, fût-ce un bled perdu, je cherche à savoir quelle en est la spécialité culinaire ou la boisson qui y est fabriquée. Sans exagération aucune, j’ai dû goûter dans ma vie près de trois cents bières différentes. Et pourtant je ne suis pas du tout un bièrologue à l’instar du comédien et réalisateur Ronny Coutteure, qui avait créé dans les années 1990 une université de bièrelogie près de Lille.

Parutions.com : Laquelle des notices vous a-t-elle donné le plus de fil à retordre ?

Jean-Baptiste Baronian : Celle sur les vignobles belges, qui est assez longue. La matière est vaste, complexe, et n’a jamais été étudiée que par petits bouts ou de façon indirecte. Elle mériterait qu’on y consacre un ouvrage entier.

Parutions.com : Vous présentez également des figures (d’écrivains, de chefs et de restaurateurs…) À laquelle de ces personnalités êtes-vous le plus attaché ?

Jean-Baptiste Baronian : Outre Gaston Clément que je viens d’évoquer, je retiendrai Maurice des Ombiaux. Il est le plus sensuel des culinographes belges. Il a parlé des arts de la table et du vin avec tant d’enthousiasme, tant de délectation, tant de gourmandise et tant de joie qu’il pourrait passer pour un écrivain lubrique. À moins qu’il ne le soit bel et bien. Ce qui renforcerait l’admiration que je lui porte. Depuis que j’ai découvert ses œuvres, au début des années 1970, il est mon amphitryon invisible, toutes les fois où les plats et les vins qu’on me sert me procurent du plaisir.

Parutions.com : Un an après la sortie de ce livre, vous êtes-vous aperçu d’un oubli, d’une lacune qu’il faudrait combler dans l’édition suivante ?

Jean-Baptiste Baronian : Des bricoles. J’ai émaillé mon livre d’une multitude de citations littéraires. Dans l’intervalle, j’en ai relevé d’autres, au hasard de mes lectures.

Parutions.com : Un autre projet en cours qui nous ferait autant saliver que celui-ci ?

Jean-Baptiste Baronian : Justement, je suis en train de mettre la dernière main à un dictionnaire sentimental des culinographes et des gastrologues, du XVe siècle à nos jours. Y figurent, bien sûr, les incontournables tels que Rabelais, Grimod de la Reynière, Balzac, Zola, Huysmans ou Curnonsky, mais aussi une foule d’auteurs méconnus ou oubliés, ainsi que des noms auxquels on ne s’attend pas, comme Collodi, le créateur des Aventures de Pinocchio. Ce dictionnaire sentimental sera, lui aussi, le premier de son genre.

Propos recueillis par Frédéric Saenen (Octobre 2020)
( Mis en ligne le 09/10/2020 )
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