L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

La Vaine attente
de Nadeem Aslam
Seuil - Points 2010 /  7.50 €- 49.13  ffr. / 475 pages
ISBN : 978-2-7578-1949-4
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication française en août 2009 (Seuil).

Traduction de Claude Demanuelli.


Un berceau d'humanité au milieu de la guerre

On débute le roman avec Lara. Elle se déplace doucement dans la maison silencieuse, car Marcus est là. Marcus Caldwell, un vieux médecin Anglais, héberge la jeune femme russe, qui ne porte que du blanc depuis qu'elle est ici. Il la soigne, mais il semble lui aussi avoir besoin d'elle. Seuls au milieu de leurs pensées dans cette demeure isolée, pas trop loin des montagnes de Tora Bora en Afghanistan, ils sont conscients l'un de l'autre, et veillent à ne pas se gêner, par du bruit ou des questions impertinentes.

Mais petit à petit, leurs passés émergent. Marcus cherche sans répit son petit-fils, dont il n'a pas revu la mère, sa fille Zameen, depuis que les Talibans l'ont emmenée de la maison il y a longtemps, avant même qu'elle songeât à avoir un enfant. La femme de Marcus, Qatrina, une Afghane, médecin comme lui, a été tuée par les Talibans. Lara, venue de Saint Petersbourg, cherche son frère, disparu lors de l'invasion soviétique alors qu'il était soldat. Plus tard survient David, un Américain, jadis amoureux de Zameen, qui cherche ses traces comme celles de son fils. David l'avait connue au Pakistan, où il travaillait comme agent de la CIA ; elle et son fils occupaient l'appartement au-dessus du sien.

Et au centre de tout, entité bienveillante, la maison couverte de fresques, à côté de la fabrique de parfums. Le délabrement de la masure, ses blessures et ses cicatrices signalent la progression des conflits dans la région. Des cicatrices comme ces livres que Qatrina avait cloués au plafond pour les protéger des Talibans, bouts de papier voués à la destruction.

Ce ne sont pas seulement les Talibans qui ont ravagé cette région pendant des années et des années. Les divers personnages du récit sont en fait liés par les guerres qui se sont passées en Afghanistan - l'invasion soviétique, celle des Américains et une guerre civile. Les conséquences sont mises en relief par les vies racontées à travers cette histoire : pendant que des gouvernements mènent leurs jeux politiques, que des seigneurs de la guerre amassent du pouvoir et des biens pour eux-mêmes, pendant que des soldats croient juste faire leur devoir patriotique, le fondamentalisme est alimenté, des djihadistes comme le jeune Casa sont endoctrinés ; des vies, des avenirs, des êtres proches et aimés sont perdus, et ceux qui leur survivent, déchirés. «Victime» et «coupable» sont des concepts qui n'ont plus aucun sens dans un scénario aussi complexe.

La subtilité de Nadeem Aslam est telle que ce n'est que lorsque les existences de chaque personnage sont effeuillées les unes après les autres que jaillissent la violence et la douleur, non seulement au fond d'eux-mêmes, mais aussi au cœur de ce carrefour qu'est l'Afghanistan. La gentillesse et la douceur caractérisent les rapports entre tous les personnages principaux, bien que leurs environnements et leurs vécus débordent de violence et de souffrance. Et, défiant ce trop-plein de haine, la beauté et les délices de l'humanité et du monde naturel : des odeurs, des couleurs, des sensations, la poésie, la littérature et la peinture. L'ensemble donne un récit dont le rythme s'accélère jusqu'à devenir haletant, une histoire d'une beauté et d'une humanité très touchantes.

Nadeem Aslam se sert des mémoires des personnages principaux pour raconter son histoire. Les associations, les changements de focalisation et les explications internes qui caractérisent souvent la réflexion enrichissent et diversifient le récit, prouvant une maîtrise romanesque réelle, évidente aussi bien au niveau de phrases soigneusement travaillées qu'au rendu des ambiances des lieux et à la structure globale du roman. Et le bouquet de louanges ne serait pas complet sans complimenter la belle traduction de Claude Demanuelli, sans laquelle l'écriture de N. Aslam ne brillerait pas dans sa version française.

S'il peut être difficile de comprendre la nature des conflits en Afghanistan à partir des innombrables articles de presse, ce roman, avec ses trajectoires individuelles, donnera au lecteur un moyen de saisir la réalité du lieu, de le voir un peu moins comme un «ailleurs», et de le lier inextricablement à cette histoire, son humanité et ses dimensions politiques et morales...

Lisa Jones
( Mis en ligne le 07/10/2010 )
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