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Pocheset Littérature  

Le Choeur des femmes
de Martin Winckler
Gallimard - Folio 2011 /  8,90 €- 58.3  ffr. / 682 pages
ISBN : 978-2-07-044039-9
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication en août 2009 (P.O.L.)

Cas patent de mussotite aiguë

Jean, interne en chirurgie gynécologique, doit passer, pour compléter sa formation, par un service de soins lambda. Rêvant, élitiste en blouse blanche, d'inspecter scalpels en mains, les tréfonds féminins, Jean se retrouve à seconder un chef de service atypique, le Dr Karma. Entre la jeune femme (oui, Jean, prénom ici anglo-saxon – prononcer donc «Djin» -, est une femme ; premier coup de théâtre du roman...) et son supérieur, le courant passe mal : elle est ici pour avancer sur une pente férocement ascendante ; il espère lui inculquer les arcanes du métier : l'écoute des patientes... au-delà de leurs seules pathologies... «Des bonnes femmes de tous les âges. Des femmes qui avaient mal aux seins, au sexe, au ventre pendant leurs règles, après leurs règles, entre leurs règles. Des bonnes femmes qui avaient peur d'être enceintes là tout de suite ou de ne plus jamais l'être. Des mères de famille qui saignaient sans arrêt, ou pas assez, ou trop souvent ou pas comme d'habitude, ou pas le jour où elles l'attendaient. Des femmes battues. Des minettes qui avaient oublié leur pilule ou qui me balançaient encore le coup du préservatif qui a craqué». Mais peu à peu Karma devient amphitryon et Jean d'apprendre volontiers sa leçon...

Hélas, hélas, hélas... L'oiseau a quitté sa cage où le génie (Djinn...) sa lampe. Ce nouveau roman de Martin Winckler, malgré le retour chez un éditeur très respectable (on aurait pu croire que l'auteur opérait une séparation des styles et des publics en fonction de maisons plus ou moins mainstream), confirme une désagréable impression, un drame tout faustien. Excellant dans ses premières œuvres - Trois médecins, La Maladie de Sachs -, Winckler, depuis qu'il s'est mis à trop regarder de séries télé et à écrire des thrillers ratissant large – et mal -, ne semble plus pouvoir proposer que la même... soupe. Lâchons-le mot. Car qui aime bien châtie bien. Parce qu'on vouait un certain culte à l'auteur des titres susdits, on lui pardonne d'autant moins cette dérive si «moderne» au sens le plus affreux du terme.

Car on a là un pavé singeant les productions américaines, qu'elles soient littéraires ou télévisuelles, clonant ces auteurs hélas best-sellers, puppet masters maniant d'une main habile des ficelles faciles, les Guillaume Musso (au secours !), les Marc Lévy (fuyons !). Romancier/toubib, Martin Winckler semble souffrir d'un mal étrange : un cas glaçant de mussotite aiguë.

Car tout est facile, immédiat, pré-mâché, didactique, un CQFD pour ménagères sur les devoirs du soignant (noblesse oblige), chevalier immaculé et nimbé d'idéaux humanistes : soigner, guérir, écouter, assister... Toute une arrière-boutique de bons sentiments séparant le corps médical selon une ligne dichotomique : les bons, donc, et les méchants (les mandarins, les archaïques, les ambitieux, les arrogants, les incapables, les élitistes, les snobinards et les fuyants, ceux formés pour ne guérir seulement que des gens sains, toute une cohorte semblant représenter la règle plus que l'exception au gré d'une vision des choses sentant son poujadisme médical). Soit. Évangile au cœur de cette jungle, Karma «sauve» au sens le plus biblique la jeune Jean, brebis égarée, brillante mais dévoyée, courtisée par les firmes pharmaceutiques les plus tentaculaires... Plus, un développement sur les pathologies liées à la confusion de genre, l'androgynie, l'hermaphrodisme, etc.

Et pour faire encore plus «in» et rendre ce pavé plus digeste (il est, de fait, vite lu), Martin Winckler, donc, mussotise, lacère la syntaxe d'inclusions internautiques, des emails par-ci, des extraits de lettres par-là, avec des fautes de Français pour faire «authentique», des phrases toutes faites en ready-made convenu («la contraception, what else ?»)... La focalisation est ivre et la structure titube. Le lecteur lui est à terre... On n'avait jamais lu pareille schizophrénie littéraire tant l'écart est énorme des premiers romans de l'auteur à ce dernier opus. Peut-on encore espérer une rémission ?...

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 14/03/2011 )
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