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Pocheset Littérature  

Mara
de Mazarine Pingeot
Pocket 2011 /  7,90 €- 51.75  ffr. / 546 pages
ISBN : 978-2-266-21108-6
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication en mars 2010 (Julliard)

''L'enfant, ou la mort''

Autrefois mannequin à l'étoffe de top à Paris, depuis toujours orpheline, placée, adoptée par une famille où elle resta l'étrangère, Mara a fui à Tanger, vivre dans une symbiose morbide un amour impossible avec son frère, Manuel, son jumeau de qui elle veut un enfant. ''L'enfant, ou la mort''... Le couple est retrouvé presque mort, justement, par Hicham, ami et collègue de Manuel. Qui ''enlève'' Mara pour Paris, quittant femme et enfants pour vivre avec elle une idylle en même temps qu'une quête, complice de l'''egogenèse'' de cette âme perdue. Mara comprend que la matité de sa peau lui vient de gènes algériens. Départ pour Alger, pour retrouver, non pas la mère, morte en couche, mais une ascendance malgré tout... dans une Algérie en proie aux massacres. Manuel, lui, également (re)venu au pays, a choisi de prendre les armes...

Voici en quelques lignes résumé un roman de 500 pages, dont la chair, décuplée par une auteure prolixe, ne doit son ampleur qu'à un talent à gémir et une maîtrise de l'art de la dissertation. Gémir avant tout, art de la plainte, larmes grisâtres infusées d'égotisme (on ne pleure pas avec Mara) : sur la douleur de ne pas avoir eu d'enfance, de ne pas avoir d'enfant, d'avoir perdu sa vie, d'avoir été esquivée de la trame de l'Histoire : "Toute ma vie j'ai été protégée de l'Histoire". Ailleurs : "Toutes les enfances lui donnent envie, elle voudrait vivre à leur place, une journée, juste pour voir, tout lui paraît mieux que la sienne"...

Qui nous parle ? Mara ou Maza ? Comme toujours chez Mazarine Pingeot, l'écriture est largement autofictive, quand bien même l'auteure s'en défend. Le lecteur lui, toujours, voit Mazarine derrière Mara, car l'épiderme est le même, qui affleure à chaque mot, l'humeur semble identique, et fatigue, et agace, qui ressasse et harasse : "j'éprouvais le plaisir dans la douleur, et j'ai tout fait pour le tenir à distance. Pourtant je le recherchais, mais il fallait qu'il soit assorti d'une forme de destruction pour me plaire". Soit, mais ce déplaisir n'est pas partagé, ce masochisme (mazachisme ?) littéraire, cette esthétisation de douleurs trop personnelles exclut d'office le lecteur qui, Mazarine le sait-elle ?, devrait être avant tout le compagnon de l'auteur qu'il lit. Ici, les mots avancent seuls ; le lecteur suit, derrière, pas vraiment concerné par cet itinéraire. Drame et limite essentielle de la posture autofictive : chez Mazarine Pingeot, malgré ses efforts (que l'on sent ici), le ''moi'' digère le roman.

Quant au dernier tiers du livre, digression sur le chaos algérien des années 90, où Mara, d'un coup, s'efface dans un trompe-l'œil déroutant, on ne comprend pas non plus. Mazarine Pingeot remercie en fin d'ouvrage Benjamin Stora pour ses lumières. Mais sur l'Algérie contemporaine, ne vaut-il pas mieux lire du Benjamin Stora tout court ? L'ancienne normalienne semble avoir voulu ici accompagner son ego-fiction d'une posture engagée, signalant d'un œil éclairé le marasme dans lequel est plongée notre demi-sœur méditerranéenne...

Trop de "Je" donc, trop d'ambition intellectuelle, mais, hélas, pas assez de ce filtre qui fait l'âme de toute littérature : la volonté d'un partage, qu'il soit d'idées ou d'émotions.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 16/09/2011 )
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