L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

Contrepoint
de Anna Enquist
Actes Sud - Babel 2014 /  7,70 €- 50.44  ffr. / 225 pages
ISBN : 978-2-330-02694-3
FORMAT : 10,6 cm × 17,5 cm

Première publication française en octobre 2010 (Actes Sud)

Traduction d'Isabelle Rosselin


Musique et pensées

Les ''Variations Goldberg'', monument de la musique de Bach, sont la grille de lecture de ce livre. Trente-deux variations, trente-deux chapitres, et derrière le piano une femme qui travaille ou plutôt retravaille ces variations pour les restituer au plus près de ce que Bach voulait, qui cherche à comprendre ce que Bach avait mis d’intérieur et de personnel dans ces mesures, qui compare les différentes partitions. La musique est un plaisir mais aussi une astreinte, une discipline féroce et une contrainte cérébrale intense. Il faut faire des pauses et laisser l’esprit se relâcher.

Pendant ces moments, les souvenirs s’emparent de cette femme, en harmonie avec ce qu’elle vient de jouer. Chacun des écrits de Bach suscite en elle des images de sa vie, des situations calmes ou agitées, des conversations contrapuntiques, des décisions prises pour une réalisation ou pour résoudre un problème… Chaque chapitre se partage entre des réflexions sur l’œuvre et des réflexions sur la vie, sur sa vie. Elle analyse la composition des variations de façon vivante ; les voix, les canons, les mesures se racontent, ce sont de vrais personnages qui ont une vie, qui parlent, qui expriment leurs sensations. Et, parallèlement, les images de sa jeunesse, de la jeunesse de ses enfants, se mettent en place et s’égrènent dans le désordre.

La variation 7 lui a toujours fait penser à «un îlot de clarté, un air doux à deux voix dans une mesure à six-huit» (les termes techniques sont présents mais discrets et accessibles aux non-musiciens parce que revêtus d’images). Cette variation 7 fait surgir dans son esprit un lustre dans une salle de concert et le concert lui-même dans lequel le père joue, écouté par ses enfants conquis… Les variations se succèdent, toutes différentes et de moins en moins légères. Les sentiments exprimés se compliquent, le jeu de la pianiste aussi et ses pensées de même. On sent monter une tension musicale et affective qui se met en place, s’intensifie, pour aboutir à une situation dramatique remarquablement dépeinte et en harmonie avec la musique.

Dans un style précis, épuré et à la fois riche de mots et de sens, Anna Enquist raconte merveilleusement la peine, la destruction ainsi que la reconstruction par le travail au piano, la mise en sons de mots cachés dans les portées, une façon comme une autre de dire son chagrin par l’intermédiaire d’un instrument exigeant, au service d’un art qui peut sauver la vie.

Dany Venayre
( Mis en ligne le 15/01/2014 )
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