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Pocheset Littérature  

Les Renards pâles
de Yannick Haenel
Gallimard - Folio 2015 /  6,40 €- 41.92  ffr. / 192 pages
ISBN : 978-2-07-046247-6
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication en août 2013 (Gallimard - L'Infini)

Notre contre-monde

L’écriture de Yannick Haenel a la finesse et la beauté des plus belles ensorceleuses. Rien n’altère la sensualité et la poésie de son héros même lorsque sa propriétaire s’égosille de l’autre côté de la porte. Exproprié illico de sa chambre de bonne, l’homme trouve dans la voiture d’un ami un refuge où vivre et poser ses trois cartons, le papyrus agrémentant le trottoir.

De sa nouvelle vigie – au volant de cette voiture, sans jamais démarrer – l’homme découvre un monde presque onirique ; il est heureux… et injoignable, où l’inverse. Il glisse doucement d’une identité légale - avec emploi et justificatifs de domicile – à un vide social, exproprié de lui-même dans cette aventure.

En opposant sa nouvelle autonomie solitaire au conditionnement permanent imposé par la finance et les politiques, il découvre un interstice de vie n’offrant aucune prise à aucun diktat ; il se libère de l’injonction de consommer, penser et travailler jusqu’à (pour ?) l’asservissement. Comme en apesanteur dans cet intervalle de vide, il reprend possession de ses pensées propres et laisse aux milliers de mots, de vies, de manques, l’espace pour exister. Sa solitude devient politique et sa réflexion, pertinente et indignée, est métamorphose ; changer de camp, ressentir la destruction qui fait des ravages, être du côté de ceux qui ramassent nos ordures, du côté de ceux qui sont privés de parole, du côté des humbles… La sédition n’est jamais loin : «Liberté, égalité, fraternité ? Ne nous faites pas rire. […] Surdité, surdité, surdité : voilà votre devise»

L’homme seul trouve d’autres codes et une vraie noblesse auprès d’aristocrates africains ; il décrypte les signes de la cosmogonie Dogon et revêt le masque symbolique du Renard Pâle, le mauvais fils, celui à qui l'on enlève la parole pour le punir d’avoir tué le père, celui qui est condamné à errer. L’écriture devient embrasement, manifeste, appel à la révolte. Sa conscience, que la solitude a réveillée, trouve une communauté d’apatrides, de sans-papiers, de sans domiciles fixes et de corps abandonnés, ultimes déchets de nos sociétés. Le JE devient NOUS : «Nous sommes un peuple sans traces – celui qui pour clamer son identité a effacé ce qui la fonde». Sa rumeur indignée monte comme un souffle puissant que nous entendons, que nous partageons.

Yannick Haenel aurait pu être essayiste ou poète, il a choisi la littérature pour faire naître sous une plume subtile (ô combien !) un magnifique récit d’un contre-monde où l’humain est sacrifié.

Marie-Claude Bernard
( Mis en ligne le 18/02/2015 )
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