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Pocheset Littérature  

La Femme d'en haut
de Claire Messud
Gallimard - Folio 2016 /  8,20 €- 53.71  ffr. / 416 pages
ISBN : 978-2-07-046888-1
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication française en septembre 2014 (Gallimard - Du Monde entier)

France Camus-Pichon (Traducteur)


Single Lady

Les gens n'ont pas envie de s'inquiéter pour la Femme d'En Haut. Elle est fiable, organisée, sans histoires». Mais ce sont ces histoires là, cachées, tapies dans une ombre intérieure, que Claire Messud vient débusquer chez l'une de ces ''Femmes d'En Haut'', comme elle les surnomme.

Nora, enseignante, célibataire, artiste velléitaire, d'une famille de classes moyennes supérieures, tricote son ennui et son amertume dans le confort de la Nouvelle Angleterre : Boston, le Massachusetts, les Etats-Unis dans leur version Côte Est, plus européens, plus intellos, plus tristes aussi. La Femme d'En Haut comme ces vieilles filles vivant seules dans l'appartement du dessus, qu'on croise et qu'on respecte sans vraiment chercher à leur parler ni les connaître. Jeunes encore mais pas tant que ça, fruits murs menacés par la quarantaine et l'enfermement dans des limbes sociaux que l'on préfère tenir à distance.

Quand l'ennui implose, vaporisé par la rencontre avec une famille qui est tout le contraire de Nora, qui est aussi tout ce de dont elle rêve, une trinité sensuelle qui fait d'elle une amante, une amie, une mère. La mère de Reza, élève de sa classe, dont l'espièglerie et l'intelligence la charment ; l'amie de Sirena, artiste italienne aux installations sombres et ambiguës comme des contes de fées ; la maîtresse de Skandar, philosophe de l'histoire, universitaire un peu taciturne, homme sémillant, juste et sagace. Nora s'immisce dans le noyau de cette vraie famille, se rapproche par petites touches de chacun, construisant un impressionnant - quoiqu'éminemment fragile - château de cartes. Entre l'automne bostonien et un début d'été parisien, le temps de deux saisons, pas plus, la Femme d'En Haut opère sa mue... en oubliant qu'elle n'est que la Femme d'En Haut.

Et le lecteur jubile à la voir, volontaire, subir son propre enlisement, moins en empathie que spectateur sadique, le pouce baissé, face à cet itinéraire imperceptiblement tragique, sublime de mesquinerie, de cette mesquinerie qui nous habite tous, confite d'espoirs vains, de rêves ineptes, d'eau de rose et de lumière vanillée. Car il y a en chacun de nous une part de cette antimatière dont cette non-héroïne est faite tout entière, de ces ambitions juvéniles flétries par le temps qui dérape, s'accélère et détruit tout.

Rendant parfaitement la psychologie de cette ''pauvre fille'', Claire Messud fait une fois encore la preuve de son impeccable talent romanesque. On a, du début à la fin, envie d'accompagner cette femme seule. Si seule.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 02/05/2016 )
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