L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

L’Ombre animale
de Makenzy Orcel
Seuil - Points 2017 /  7,30 €- 47.82  ffr. / 283 pages
ISBN : 978-2-7578-6180-6
FORMAT : 10,8 cm × 17,8 cm

Première publication en janvier 2016 (Zulma)

Litanie d’outre-tombe

Makenzy Orcel, écrivain de la jeune génération, nous donne l'occasion de nous familiariser avec la culture haïtienne dans ce roman original et puissant. Il est bien agréable de se perdre dans ces pages aux phrases longues et sans point, sans majuscule, aux paragraphes ponctués de virgules, quelques points de suspension, une plongée dans ces croyances vaudou si éloignées de notre culture cartésienne. Cette omniprésence de la virgule donne un rythme particulier, irrégulier, au texte avec une rapidité et peu de temps morts, donc le besoin de fractionner la lecture. On est presque oppressé par l'avalanche de mots.

La voix tenant le récit est celle d'une morte et le roman débute ainsi : «Je suis le rare cadavre ici qui n'ait pas été tué par un coup de magie, un coup de machette dans la nuque ou une expédition vaudou, il n'y aura pas d'enquête, de prestidigitation policière (...) et je le dis tout de suite, ce n'est pas une histoire». Elle a vécu toute sa vie dans un village isolé, loin de la civilisation moderne, sans eau ni électricité. Elle peut parler sans se retenir et analyser son existence car les morts prennent de la distance et comprennent tout de la vie, ils ont la sagesse requise selon l'imaginaire collectif et la mythologie vaudou, ils sont dans le lieu de la vérité alors que les vivants sont dans le mensonge.

Elle fait affleurer toute sa vie, son village, ses parents et son frère devenu muet à la suite d'un traumatisme psychique, partis à la ville pour ne pas mourir de misère, sa solitude. Mais à Port-au-Prince, on est loin de la nature, la politique règne avec les «loups» que sont les Tontons Macoutes d'Haïti, la corruption et le néo-colonialisme. C'est une voix de femme dans une société que l'on peut considérer comme matriarcale ; les hommes finissent toujours par partir, le socle de la famille est la mère et l'enfant.

En quête d'une parole forte, l'auteur allie la poésie libre et le roman. Le dialogue entre la vie et la mort, le visible et l'invisible, l'ombre animale qui est celle de la mort. Makenzy Orcel joue avec les mots, en appelant la chorale catholique «les belles du seigneur», il méprise l'hypocrisie de l'envoyé de Dieu qu'est le pasteur. Cette pauvre narratrice aura subi tous les outrages possibles pour une femme dans une société archaïque au sein de sa famille incestueuse. Elle donne l'impression d'être soulagée par la mort, elle a enfin trouvé la liberté après sa pauvre vie qui ne vaut que par le fait d'être racontée, comme une rédemption.

L'auteur dépeint d'un seul souffle la société haïtienne et le sort de l'être humain par une prose enflammée et festive. «La terre, la nature et tout ce qu'elle renferme, était la demeure des ancêtres et il m'a fallu longtemps pour comprendre enfin, le rapport qu'entretenait Toi (la mère) avec les invisibles passait surtout par la terre qui, selon elle, est la clé de toutes les énigmes, le liant entre la vie et la mort, le moyen le plus sûr de s'adresser aux dieux».

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 10/05/2017 )
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