Poches
Littérature de Philippe Forest
Gallimard - Folio 2018 / 7,25 €- 47.49 ffr. / 288 pages
ISBN : 978-2-07-276415-8
FORMAT : 10,9 cm × 18,0 cm
Première publication en août 2016 (Gallimard - Blanche)
Fantastique
Marqué au vif, à vie, par la perte de son enfant, Philippe Forest, roman après roman, remanie le réel à coups de plumes, et produit, patiemment et dans la douleur, une œuvre essentielle, à travers laquelle le pouvoir de la littérature atteint des dimensions méta- sinon astro-physiques...
Les lettres tiennent la mémoire, substance fuyante, recréent ce qui n'est plus, jouent avec le temps et l'espace, acoquinées avec ce que pensent et croient les plus grands physiciens. "Crue'', titre de ce dernier roman, renvoie certes aux eaux qui envahissent tout, mais fait référence aussi à ce mystère qu'est croire. L'un des précédents romans de Forest, Le Chat de Schrödinger, rappelait que d'autres mondes sont possibles et ''crédibles'', où ceux disparus dans le nôtre vivent encore et poursuivent d'autres récits, d'autres histoires (des fictions ?)... L'espace étant sans limites, les trajectoires qui le peuplent le sont aussi et d'autres ''nous'' qui sont aussi autres que nous existent - certainement - dans des mondes à la fois proches et différents du nôtre, selon une infinie déclinaison des possibles.
Cette possibilité de réalités autres, Philippe Forest la souligne à nouveau dans Crue. Un homme qui lui ressemble, narrateur perdu dans un quartier de Paris en pleine mutation, périphérie effacée et reconstruite au gré des appétits immobiliers et des rêves d'architectes, survit dans un entre-deux, le Paris d'hier, celui de demain, où son immeuble joue le rôle de témoin d'un temps perdu. Sa fille morte est un fantôme rejoint par celui d'une mère récemment décédée. Elles ne sont pas les seules disparues du récit. Car tout est disparition ici, manifeste ou mystérieuse...
A une époque où les hommes jouent justement avec le temps et l'espace, la nature veut sa revanche et la prend : un déluge permet à la Seine de sortir des quais et recouvrir tout. Crue : disparition supplémentaire qui laisse le narrateur pantois... Ses deux voisins, un homme et une femme, ont disparu eux aussi, sa maîtresse et un compagnon farfelu animé d'une théorie alambiquée sur le passage des êtres vers... un autre monde.
Philippe Forest tisse de main de maître ce récit inquiétant et fantastique. Son narrateur rapporte précisément la trame des événements. Un style identifiable, qui va par ressacs, répétitions, incrémentation. Une maîtrise absolue, un récit tendu qui prend le lecteur tout en le laissant libre. Fantastique donc, aux deux sens du terme.
Thomas Roman
( Mis en ligne le 12/01/2018 )
www.parutions.com
(fermer cette fenêtre)