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Pocheset Littérature  

Désorientale
de Négar Djavadi
Liana Levi - Piccolo 2018 /  11 €- 72.05  ffr. / 352 pages
ISBN : 978-2-86746-995-4
FORMAT : 12,0 cm × 17,8 cm

Première publication en août 2016 (Liana Levi)

Racines

Comment peut-on ne plus être persan ? Comment se défaire de son identité première afin d'en épouser une nouvelle ? C'est sous la forme d'une vaste fresque colorée, mordante et tendre, que Négar Djavadi confie au lecteur une fiction inspirée de l'histoire de sa famille d'intellectuels militants cultivés ayant fui l'islamisation de l'Iran et immigrée en France. Disons d'emblée que le premier livre de cette jeune femme scénariste, diplômée de l'Institut Supérieur des Arts de Bruxelles, est une réussite.

Précisément parce que le conte à rebours ne fonctionne pas tout à fait : parce qu'entre l'enfance persane de l'héroïne principale, Kimià, magnifiquement conjuguée au passé simple à travers la voix de deux générations de femmes, porteuse aussi d'accents arméniens, et les frasques adolescentes exercées dans les bas-fonds des capitales européennes à contre-courant des valeurs iraniennes obligées, persistent les traces de ces deux, sinon trois cultures. Dans ce récit foisonnant, parti du cadre inattendu de la salle d'attente d'un service parisien d'assistance médicale à la procréation, passé et présent oscillent, se télescopent et s'entrecroisent au moyen d'une écriture brillante, contrastée et condensée, à la fois nourrie de surprenantes métaphores importées du persan, et très maîtrisée dans la langue de Montesquieu. De nombreuses références culturelles, historiques et politiques, toujours bienvenues, accompagnent le lecteur.

En revanche, compte tenu de la subtilité du scénario, fluide et bien construit, on peut regretter la soixantaine de pages venant après-coup de façon un peu superfétatoire «soulever avec des han ! de porteur d'eau le vers qu'il faut laisser s'envoler». Une simple phrase, une allusion, auraient suffi pour rendre compte des choix sexués et des modes de procréation adoptés par l'héroïne, totalement prohibés en Iran. Mais c'est là une critique mineure compte tenu de la qualité de l'ensemble.

Peu importe d'ailleurs que le processus de «désorientalisation-occidentalisation» s'avère entièrement crédible ou pas au plan du contenu car la forme de l'ouvrage se charge de tisser un irremplaçable arc en ciel entre hier et aujourd'hui, entre orient et occident. On ne se défait pas aisément de ses racines ni des images et des rythmes de sa langue maternelle et c'est bien là l'originalité de ce beau fondu enchaîné réalisé dans un espace intermédiaire : entre ce que la main consciemment écrit et l'ineffaçable enveloppe sonore et visuelle des mots de la prime enfance, à la source de toute pensée.

Désorientale ? Pas tout à fait et tant mieux.

Monika Boekholt
( Mis en ligne le 06/04/2018 )
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