L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

Le Jour d'avant
de Sorj Chalandon
Le Livre de Poche 2018 /  7,90 €- 51.75  ffr. / 353 pages
ISBN : 978-2-253-07379-6
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication en août 2017 (Grasset)

Six pieds sous Terre Jojo, tu frères encore

Chalandon livre dans ce texte un bouleversant témoignage sur l'un des derniers coups de grisou qui emportat le 27 décembre 1974 42 mineurs de fond à Lieven. Ils sont les derniers sacrifiés de la fosse 3 bis, une fosse obsolète, prête à être fermée, donc mal sécurisée, dans l'indifférence des autorités et des exploitants dont le cynisme rigide a retenu aux veuves, "en plus des trois jours" pour arriver au 31 décembre, "le prix du bleu de travail et des bottes que l'ouvrier mort avait endommagés". Les descriptions des conditions de travail, la vie au coron, la solidarité des gueules noires sont relatées magistralement, un "Germinal mécanisé" sur les derniers descendants d'un métier "bouffeur d'homme".

La vie entière du héros, Michel Flavent, est vouée à ce souvenir, son frère vénéré, Joseph dit Jojo, mort là à trente ans. Le père, paysan exploitant d'une petite ferme, ne s'en remettra pas et se pendra dans la grange, ne laissant qu'un mot : "Michel, venges nous de la mine". La mère mourra de chagrin peu après. Tout au long de ses quarante ans de vie à Paris et depuis son plus jeune âge, Michel, rongé d'une colère noire, a créé dans son box un mausolée aux mineurs, reliques accumulées d'objets de leur vie quotidienne, au grand dam de son épouse Cécile qui trouve cela morbide. Mais Cécile est gravement malade et le long accompagnement de Michel dans cette nouvelle souffrance ravive sa mission de vengeance.

Le roman aurait pu s'arrêter là mais le plan de vengeance est mis en œuvre, Michel revient aux sources et, libéré de toute attache, se rend sur les lieux de son enfance pour en quelque sorte exorciser ses démons. Mais, rebondissement inattendu, il va se perdre dans un dédale de conjectures revanchardes mixant colère collective et vengeance personnelle. Du coup, pour le lecteur, le roman prend un tournant surprenant ; cette cabale personnelle totalement inattendue dévie la lecture sur la réflexion, non pas sur les gueules noires, mais sur la noirceur des âmes. C'est une allégorie sur l'extérieur et l'intérieur, sur le social et l'individu, comme pour dire avec ce bon vieux Platon que "le beau est la splendeur du vrai".

Le style, l'écriture, le sens du détail et du mot juste sont l'apanage de Sorj Chalendon, talent intact, inaltéré, qui rend la lecture intelligente voire élégante. Plonger dans le monde oublié - mais à ne pas oublier - des mineurs du nord était un vrai challenge, réussi ô combien. En fait, le seul couac qui déroute au sens littéral du terme le lecteur est ce grand écart entre un Zola des temps modernes et le récit d'un fait divers. Une fois le chemin retrouvé, on peut encore savourer un grand moment d'écriture avec tout de même l'impression d'avoir lu deux romans. L'important cependant reste de pouvoir apprécier tout le talent d'écrivain de Chalandon, sa sensibilité, sa belle manière de compatir aux douleurs des gens de peu. On y retrouvera le journaliste de Libération et du Canard enchaîné, l'homme de gauche droit dans ses bottes.

Raymonde Roman
( Mis en ligne le 12/09/2018 )
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