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A la ligne - Feuillets d'usine
de Joseph Ponthus
Gallimard - Folio 2020 /  7,50 €- 49.13  ffr. / 288 pages
ISBN : 978-2-07-288186-2
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication en janvier 2019 (La Table Ronde)

Poème prolétaire

. «L’usine c’est pour les sous
Un boulot alimentaire
Comme on dit
Parce que mon épouse en a marre de me voir
Traîner sur le canapé en attente d’une embauche
Dans mon secteur
Alors c’est l’agroalimentaire
L’agro
Comme ils disent»
.

Le premier roman de Joseph Ponthus, qui descend en droite ligne de Pontus du Thiard et de la Pléiade, raconte l’histoire d’un narrateur lettré devenu intérimaire dans une conserverie de poissons puis dans un abattoir, incubateurs du désespoir.

Trier les caisses, les poissons, les crevettes, puis déplacer d’énormes carcasses en les évidant, renifler l’odeur de sang et de mort à cinq heures du matin... Il faut enchaîner les nuits «d’apocalypse bulotesque» en manipulant des tonnes de ces coquillages à l’approche des fêtes de Noël, mettre les bouchons pour supporter le fracas des machines, supporter les odeurs pestilentielles des abats et des tripes, laver le sang et les excréments, embaucher à quatre heures : une souffrance muette, et la fatigue qui accable.

Entre une majuscule et un point final qui ne viendra jamais, ce long poème dit les litres de sueur, le labeur, la douleur et les pleurs d’épuisement. En s’inscrivant dans la littérature prolétarienne, de Robert Linhart à Georges Navel, L’auteur tente par la langue de traduire au plus près l’enfer vécu par l’intérimaire, et le travail en usine. Dans cette longue complainte de 280 pages, sans ponctuation, très rythmée, les vers sculptent un ressenti violent, cisaillent les images, martèlent l’abrutissement répétitif. L’automatisme de la machine épouse le mécanisme de la phrase et son tempo saccadé, scandé, l’infernale monotonie qui finit dans le désespoir.

C’est la même rengaine, l’usine et l’homme ne font qu’un parce qu’il faut tenir face à l’absurdité du système. Les seuls remèdes à cette condition sont la lecture et la culture qui sauvent, de Braudel à Beckett en passant par Trenet ou Godard, pour humaniser la tête d’un corps qui ne vous appartient plus. Ce cri de rage dans la nuit compose un roman sincère sur les mécanismes de la servitude volontaire ainsi qu’une sublimation de l’expérience.

«Même si je trouve un vrai travail
Si tant est que l’usine en soit un faux
Ce dont je doute
Il y a qu’il n’y aura jamais
De point final
A la ligne»


Joseph Ponthus a fait de solides études littéraires puis est devenu éducateur spécialisé. Combien sont condamnés à travailler en usine sans avoir d’autre horizon. Marx, où es-tu ?...

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 14/09/2020 )
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