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Pocheset Littérature  

Pourquoi écrire ?
de Philip Roth
Gallimard - Folio 2019 /  10,80 €- 70.74  ffr. / 635 pages
ISBN : 978-2-07-279805-4
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Michel Jaworski, Philippe Jaworski, Josée Kamoun, Lazare Bitoun (Traducteurs)

Création et réception

En 2010, l’écrivain américain Philip Roth (1933-2018), l’un des auteurs contemporains les plus populaires, décidait de mettre un terme à son œuvre romanesque (31 titres). De Goodbye, Colombus en 1957 (bien que son premier roman fut Quand elle était gentille publié en 1967) à Nemesis, l’œuvre de Roth parcourt un demi siècle d’histoire des Etats-Unis. C’est en 1969 qu’il devient célèbre en vendant plusieurs centaines de milliers d’exemplaire de Portnoy et son complexe qui fit scandale pour sa liberté de ton et la description des mœurs américaines des années 60, mises en scène de manière éloquente. L’auteur devint emblématique durant les quatre décennies suivantes en publiant beaucoup mais surtout en touchant un public européen (et notamment français). Quel lecteur assidu n’a jamais entendu parler de titres tels que La Tâche, Professeur de désir, Opération Shylock, ou encore Le Complot contre l’Amérique ?

Peu avant de mourir, Philip Roth décide de réunir sous le titre Pourquoi écrire ? deux essais parus précédemment - Du côté de Portnoy (1978) et Parlons travail (2004) - et un recueil inédit, Explications (2019) qui traitent essentiellement de la création littéraire. Le premier essai comporte des articles et des entretiens sur la réception de Portnoy et son complexe dans le monde littéraire en général et la diaspora juive en particulier, scandalisée par l’histoire de ce jeune obsédé sexuel juif s’adonnant, entre autre, à la masturbation. Taxé d’antisémitisme par sa propre communauté, Roth se défend et répond à ces stupides et désormais banales accusations. Il est également question de trois autres textes de Roth, dont l’un, vindicatif et quasi militant, sur la politique et la personnalité de Nixon que l’auteur égratigne avec violence et ironie.

Dans Parlons travail, Roth fait exprimer sa judaïté, mais pas seulement, en allant à la rencontre de grands écrivains européens : Kafka (de manière posthume évidemment) qui surplombe le tout, Primo Levi, Aharon Appelfeld, Ivan Klíma, Isaac Bashevis Singer, Milan Kundera, Edna O’Brien, Mary McCarthy, Bernard Malamud, Philip Guston, Saul Bellow... sous forme d’entretiens pour les premiers et d’analyses littéraires pour les derniers. Outre que ces textes sont passionnants, Roth revient sur leur création littéraire dans un contexte bien précis : censure communiste, antisémitisme idéologique, expérience des camps, nazisme allemand ou encore chasse aux sorcières américaine. Roth ne joue pas au journaliste mondain mais, en lecteur attentif et curieux, il permet à ses interlocuteurs d’évoquer leur place d’écrivain dans une société oppressante, voire totalitaire. Pourquoi en vient-on à écrire, voire à produire une œuvre lorsque l’on est avant tout un citoyen victime des coups de l’Histoire ? Quelles sont les secrètes et douloureuses justifications qui amènent un auteur à consacrer sa vie à la littérature ? Ce recueil est instructif et évoque à travers l'expérience du langage de ses collègues les influences d'un auteur américain passionné par les problématiques littéraires européennes.

Enfin, dans Explications, sous la forme d’interventions dans des colloques ou d’entretiens donnés cette fois-ci à des journalistes, Roth, à l’aube du trépas, relit son œuvre entière et fournit des clés de compréhension au lecteur. Nous évoluons en pleine paralittérature. Bien que moins pertinents et souvent anecdotiques, les propos ne restent pas moins inscrits dans un souffle créateur assez singulier. En effet, et c’est la qualité principale de ce livre imposant, Roth montre tout le sérieux qu’il faut pour publier 30 livres et revenir sur cinquante années qui ont marqué son époque par le biais de la fiction romanesque.

Comme un testament littéraire choisi (et non trahi pour, citer Kundera, toujours sous l’imposante présence de Kafka), Roth referme la page d’une longue et riche existence artistique.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 28/06/2019 )
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