L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

Zéro K
de Don DeLillo
Actes Sud - Babel 2019 /  8,70 €- 56.99  ffr. / 297 pages
ISBN : 978-2-330-12509-7
FORMAT : 11,0 cm × 17,5 cm

Francis Kerline (Traducteur)

Pas demain la veille

Don DeLillo interroge plus profondément ici les apories de notre civilisation, son jeunisme, son matérialisme, ses tragédies. A travers le regard de Jeffrey, new-yorkais perdu, sans emploi, sans relation stable, une question contradictoire est posée, celle de l'éternité.

Jeffrey est le fils de Ross Lockhart, un magnat américain, un faiseur de milliards qui, au soir de sa vie, décide, et d’accompagner Artis sa seconde épouse, malade, vers l'au-delà, et, finalement, de l'y rejoindre. Cet au-delà, quel est-il ? Tout sauf métaphysique, de fait, malgré l'habillage ésotérique dont l'entourent ses entrepreneurs. Il s'agit simplement d'une congélation, d'une mise du corps en pause, d'ici à ce que la science puisse guérir et rajeunir les êtres, d'ici à ce que l'histoire ait terminé sa course meurtrière, ses massacres écologiques, ses tragédies géopolitiques. Le produit de consommation absolu. "Ceux d'entre nous qui sont ici sont de nulle part. Nous avons rompu avec l'histoire. Nous avons abandonné qui nous étions et où nous étions pour être ici".

Ils renaîtront donc à la fois autres et ailleurs, un autre temps, un autre espace. En attendant, ici, c'est quelque part entre le Kirghizistan et le Kazakhstan, une sorte de "ground zéro" protégé et hautement technologique. Des vidéos mettent en scène, au tournant de couloirs aseptisés, les horreurs du présent, cataclysmes météorologiques ou géopolitiques. Tout est pesant dans cette base, la lecture aussi qui transmet bien, trop peut-être, et le vide et la pesanteur du lieu et de sa raison d'être : "Mourir un moment, vivre pour toujours".

Jeffrey y séjourne une première fois pour soutenir son père dans le départ de sa compagne, puis, plus tard, pour son père, cette fois. Entre temps, sa vie à lui, le présent new-yorkais, la relation compliquée avec Emma, et son fils autiste, le souvenir de sa mère Madeline. Jeffrey pour qui les mots comptent, mots qui, ici, lui échappent et concourent au vide total de cette entreprise folle. Des mots qu'on oublie, qu'il recherche, depuis l'enfance, car ils sont la cure finalement, au manque d'incarnation, au désir d'éternité. Les montagnes de l'Altaï, elles, ne renferment que le silence... Ce n'est pas si mal, la ville, les gens, l'instant présent.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 10/02/2020 )
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