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Pocheset Littérature  

Patria
de Fernando Aramburu
Actes Sud - Babel 2020 /  11,50 €- 75.33  ffr. / 728 pages
ISBN : 11,0 cm × 17,5 cm
FORMAT : 11,0 cm × 17,5 cm

Claude Bleton (Traducteur)

''Patries et fariboles''

HBO Europe a tout récemment adapté en série cet immense succès littéraire en Espagne et ailleurs. Patria, de Fernando Aramburu, conte l'épopée d'un village basque pris dans l'étau du terrorisme.

Une fresque de plus de 700 pages, pour dire la quotidienneté du mal, celui d'un mouvement indépendantiste qui, depuis la fin du franquisme, court comme un poulet sans tête, tuant à tout-va, les représentants d'un Etat espagnol honni comme les voisins au nationalisme douteux, au patriotisme fade, surtout quand ils ne paient pas comme il faut l'impôt révolutionnaire. Tel le Txato dont le lecteur apprend dès les premières pages du roman l'assassinat. Un entrepreneur, bon père, bon époux, bon ami, tué dans le dos, un jour de pluie.

Le récit, alors, se déploie et se diffracte, entre les années 90 et nos jours, alors que l'ETA a déposé les armes et que les jeunes fous vieillissent dans des prisons aux quatre coins de l'Espagne ; d'une vie à l'autre, et de courts chapitres, 125 en tout, une petite dizaine de pages chacun, d'une écriture nerveuse et efficace, habile dans cette marqueterie des consciences et des temps.

Il faut cet espace, un pavé qui se lit sans peine, pour que le déploiement opère, que l'on comprenne et que l'on s'attache à la dizaine de personnages répartis, comme dans toute bonne tragédie, en deux clans : les victimes et les bourreaux... qui ne sont pas nécessairement les bons et les méchants. Autour du Txato défunt, sa veuve Bittori et ses deux enfants, Xabier et Nerea. En face, la famille du tueur supposé, Joxe-Mari, jeune loup fougueux et inculte : son père, le placide Joxian, la mère - l'amère - Miren incomprise et patriote, son frère Gorka qui vit son nationalisme par la langue et la culture, et la soeur Arantxa, prisonnière d'une attaque qui la cloua sur un fauteuil roulant, mutique mais sagace.

Les chapitres alternent ces itinéraires, offrant ainsi tout un éventail des positions possibles face à l'ETA, à la mort, au deuil, à la vie ; sous la cloche d'un petit village basque, près de Donostia (San Sébastien), une communauté trop petite pour permettre de vivre libre. Les seules échappatoires sont les villes, Bilbao où s'exile Gorka - "Gorka reconnaît que tant qu'il vivait au village, il avait le plus grand mal à rester en marge de l'ambiance abertzale. Dans les patelins, affirme-t-il, impossible de se défiler" ; Donostia où vit à présent Bittori. Ou plus loin encore : Arantxa fait sa vie ailleurs avant que le handicap ne la rapatrie d'office. Nerea va jusqu'en Allemagne. Bittori, au soir de sa vie, décide de revenir et de régler les comptes, affolant le village, Miren en tête. Car l'absence et le silence valent mieux que la confrontation. "C'est le tribut à payer pour vivre tranquille au pays des taiseux".

Le roman déroule parfaitement les contextes historiques et ceux, fictifs mais édifiants, de cette petite communauté représentée par ces deux familles, autrefois proches - le Txato et Joxian étaient comme cul et chemise -, aujourd’hui en guerre. Une guerre froide, longue, dont l'issue incertaine constitue le cœur de l'intrigue.

Sans doute fallait-il 700, pages pour dire tout cela. Un roman époque, populaire, nécessaire, un page turner efficace.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 12/04/2021 )
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