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Pocheset Littérature  

Partouz
de Yann Moix
Le Livre de Poche 2006 /  6.95 €- 45.52  ffr. / 409 pages
ISBN : 2-253-11518-5
FORMAT : 11x18 cm

Première publication en septembre 2004 (Grasset).

What’s on a man’s mind...

Yann Moix appartient à cette catégorie des écrivains dans le vent, nés (quitte à ce que ce soit au prix de quelques acrobaties autobiographiques), vivant et sans doute prêts à s’éteindre dans le périmètre étroit mais lumineux – pensent-ils – de Saint-Germain-des-Prés : la Seine, le Boul’ Mich’ et la rue du Bac seraient leurs horizons indépassés… C’est dire si ce compère et camarade de Frédéric Beigbeder et Marc-Edouard Nabe, icône ardissonienne, peut agacer au point que l’on refuserait de le lire par principe, dans la posture de gardien du Temple, celui des lettres, s’entend… Forment-ils une école littéraire, mêlant irrévérence et «branchitude», où s’agit-il simplement d’un groupe socialement pathologique ?

Car Partouz est un symptôme, une œuvre que les thésards futurs dissèqueront pour en extraire les vapeurs fanées ayant composé un «air du temps», celui de ce début de millénaire où, au traumatisme occidental du 11 septembre, mâtiné d’islamophobie, se mêlerait une léthargie de masse, à peine électrisée par le choc des images et des nuits pornographiques dans des clubs échangistes dudit Quartier latin… «Le risque zéro, la tolérance zéro, la guerre à zéro mort symbolisaient les trois zéros de l’an 2000». (p.277)

Le «pitch», comme dirait l’autre ? Un narrateur apparemment sévèrement frustré sexuellement et traumatisé par les attentats de 2001, se retrouvant dans une boîte à partouz (substantif orientalisé pour l’occasion et la démonstration), analyse le suicide spectaculaire de Mohammed Atta dans le World Trade Center comme l’aveu d’échec de plus de mille ans de romantisme. Le naufrage amoureux du jeune musulman, étudiant en architecture, plus prompt à écrire des poèmes enflammés qu’à passer à l’acte auprès de sa Dulcinée, l’aurait conduit à passer à l’acte suprême : enflammer Manhattan. «Le 11 septembre est un événement sexuel. Le plus grand événement sexuel de tous les temps. Pam a émasculé Mohammed. Mais elle a émasculé New York. Elle a guillotiné trois queues : deux tours jumelles et la bite à Momo.» (p.32) C.Q.F.D., en suivant une démarche au cynisme freudien radicalisé…

Partouz est un peu comme le bréviaire de tous ces castrés encastrés, poète inaptes à vivre, handicapés de leur poésie même dans un monde terriblement prosaïque, morts au combat, kamikazes, artistes et écrivains, ténors politiques ayant sublimé cette mauvaise énergie d’une libido insatisfaite, dans des feux d’artifice, en bien comme en mal…

C’est iconoclaste, provocateur sinon sacrilège, d’une violence de pamphlet, sans doute pour démontrer, souligne l’auteur, que «la réalité était toujours pornotransformable» (p.141). Les propos sur l’époque succèdent à des scènes d’orgies tristes, signe d’un pessimisme né à la source d’un romantisme ravagé, comme une violente perte de mystique (Péguy est d’ailleurs une référence constante dans le récit, fantôme complice de l’islamiste encastré). L’auteur est-il sérieux, grave, ou s’amuse-t-il ?...

Mais c’est aussi superbement écrit, de sorte que l’on ouvre le livre pour le boire… jusqu’à la lie d’un propos plus suspect, voire vain. Mais n’est-ce pas cela la littérature, tirer prétexte du meilleur comme du pire, pour accoucher d’un texte à l’inavouable beauté ?...

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 13/01/2006 )
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